Un juge américain a estimé, selon le Howey Test, qu’un token devait être considéré comme un titre financier.
En effet, aux termes d’une décision du 11 septembre 2018, un juge du district de New York a apporté un certain nombre de précisions sur le traitement qui devait être accordé aux Tokens, au regard du Securities Exchange Act de 1933 (1).
Cette décision était rendue à l’encontre d’une « motion » soulevée par le défendeur : c’est-à-dire une question préliminaire soulevée avant le procès pour purger des points de droit spécifiques (compétence d’une juridiction, application d’une loi, qualification juridique devant être retenue…).
Les questions de droits soulevées
Cette décision était relativement attendue puisque les arguments soulevés dans le cadre de cette motion devaient permettre au juge de se positionner sur des problématiques particulièrement complexes.
En substance, les points de droit à trancher étaient les suivants :
- un token satisfait-il au « Howey Test » ?
- le « Exchange Act » est-il suffisamment clair ?
Les notions de « Token » et de « Howey Test »
Avant d’analyser la décision judiciaire, il est nécessaire de préciser ces deux notions.
Un Token est un jeton émis en échange d’une participation à une ICO (Initial Coin Offering = levée de fonds en cryptomonnaie).
Synthétiquement, on peut distinguer trois catégories de tokens :
- le token d’utilité : mes jetons me permettent d’utiliser le service proposé par la blockchain associée ;
- le token de paiement : mon token me permet de payer ;
- le token d’investissement : ses caractéristiques d’utilité et de paiement sont secondaires et l’objectif principal est de réaliser un profit en misant sur sa prise de valeur.
En pratique, il est rare de voir un token rentrer dans une seule de ces catégories. En effet, qu’il soit « d’utilité » ou de « paiement », le token est généralement « tradable » sur des plateformes de cryptomonnaies et il est donc, par essence, un support d’investissement.
En France et en Europe, le statut d’un token est sujet à de nombreuses discussions :
- pour l’Autorité des marchés financiers, un token pourrait être, un bien meuble incorporel, un titre financier, un contrat financier, une part sociale, une monnaie légale ou une monnaie électronique (2) ;
- pour le Conseil d’Etat, le token bitcoin, est un bien meuble incorporel (2) ;
- pour l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers suisse, seuls les tokens « d’investissement » peuvent être considérés comme des valeurs mobilières, les tokens d’utilité et les tokens de paiement ne pouvant pas rentrer dans cette catégorie.
La question n’est donc pas tranchée sur le statut juridique du token.
Le « Howey Test » est une technique d’analyse développée par la « Securities Exchange Commission » (la SEC, l’équivalent américain de l’AMF) afin de savoir si on est, ou non, face à un contrat d’investissement.
Afin de savoir si une vente constitue un tel contrat d’investissement, le Howey Test implique de vérifier que les éléments suivants sont réunis :
- un investissement d’argent ;
- dans une entreprise “commune” ;
- une attente de profits pour les investisseurs ;
- l’investisseur n’a pas d’impact réel dans la réussite de l’entreprise.
A première vue, cette notion parait assez large et semble englober tous les types d’investissements.
Si on fait une comparaison avec le droit français et la législation sur le crowdfunding, il semble donc que les seuls investissements en entreprises exclus soient les suivants :
- les dons avec ou sans contreparties ;
- les prêts non rémunérés.
Les tokens en question étaient bien des contrats d’investissement aux termes du Howey Test : il s’agissaient des RECoin et des Diamonds.
Il convient dès à présent de préciser, même si d’un point de vue juridique cela n’a à priori pas de réel impact sur la décision du juge, que ces ICO et les tokens associés étaient considérés comme des escroqueries en ce qu’ils ne reposaient sur aucun actif ou service tangible. Pour plus d’informations sur la nature et l’utilité de ces tokens, il sera renvoyé à un précédent article sur le sujet.
Selon le Howey Test, le juge américain a donc considéré que ces tokens remplissaient les conditions évoquées ci-dessus.
Concernant l’investissement en argent, la défense faisait valoir, de manière judicieuse, que l’acquisition de RECoin ou des Diamonds n’impliquait pas un investissement en argent mais un investissement en crypto-monnaies (Bitcoin et/ou Ethereum).
Or, selon le juge :
- d’une part, il y a bien eu un investissement en argent à l’origine, ne serait-ce que pour acheter des bitcoins ou des ethers ;
- d’autre part, l’investissement en argent doit s’entendre de manière large et peut englober des cryptomonnaies.
Il s’agit également, selon le juge, d’une entreprise « commune », dans la mesure où les retours attendus des investissements étaient proportionnels aux montants investis.
Enfin, il y avait bien une attente de profits éventuels de la part des investisseurs et ces derniers n’avaient aucun impact concret possible sur la réalisation de ces profits, la prise de valeur dépendant en réalité d’une éventuelle spéculation autour de ces tokens.
Le juge a donc considéré que ces tokens présentaient les caractéristiques de titres financiers et la motion a, en conséquence, été rejetée.
La clarté du « Securities Exchange Act » de 1934
Parallèlement, le défendeur faisait valoir :
- le manque de clarté de certaines dispositions du Exchange Act, notamment l’article 10B5 relatif aux tromperies en matière de vente de titres financier, et invoquait son caractère inconstitutionnel ;
- l’imprécision du Howey Test.
Le juge américain n’a pas fait droit à ces demandes, considérant notamment que la jurisprudence fournissait des informations claires et compréhensibles sur les critères de ce texte de loi et la méthode du Howey Test.
Conclusion
En conclusion, il semble difficile, pour un organisateur d’ICO d’éviter l’application des dispositions de la loi américaine.
Au regard du cadre particulièrement rigide mis en place par les Etats Unis, il est probable que les créateurs de projets innovants en matière de blockchain et de cryptomonnaies se mettent à chercher un nouvel el dorado.
Il est cependant utile de préciser que le fait de s’expatrier pour lancer une ICO ne permet pas d’éviter une éventuelle application du Securities Exchange Act, comme le montre la récente décision prise dans l’affaire de la class Action Tezos.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Pierre Guynot de Boismenu
Lexing Contentieux informatique
(1) Coindesk, Post du 11-9-2018.
(2) AMF, Post du 22-2-2018.
(3) Précédent Post du 9-6-2018.