Le téléphone portable utilisé pour créer un compte Facebook peut suffire à établir la qualité de directeur de publication.
Par une décision du 3 janvier 2022, le Tribunal judiciaire de Fontainebleau a condamné un individu pour diffamation envers un particulier. En l’espèce, le maire de Montereau était visé. Le délit : diffamation par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique.
Les juges ont répondu par la positive à la question de savoir s’il est possible d’être poursuivi pour diffamation lorsque celle-ci a lieu sur une page Facebook créée par le propriétaire d’un téléphone portable. Ils ont précisé que le téléphone portable utilisé pour créer un compte Facebook était un élément suffisant pour établir que le titulaire du numéro de téléphone possédait la qualité de directeur de la publication Facebook. Il faut cependant qu’il y ait des éléments permettant de justifier que l’auteur de la publication et le titulaire du téléphone soient la même personne.
Retour sur ce qu’on doit retenir de cette affaire…
Le cadre légal : la loi de 1881 sur la liberté de la presse
Aux termes de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation est définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ». Elle peut être publique [1] ou privée.
La diffamation publique est une diffamation qui peut être entendue ou lue par un public étranger à l’auteur des faits. C’est notamment le cas de propos prononcés sur un site internet.
S’agissant plus particulièrement des propos diffamatoires tenus sur les réseaux sociaux, ils sont considérés comme publics dès lors qu’ils :
- sont diffusés sur un compte accessible à tous et
- peuvent ainsi être consultés par tout internaute.
En revanche, si les propos ne sont visibles que par un cercle restreint d’amis, la diffamation est non publique.
En l’espèce, la diffamation publique est établie. Le prévenu a en effet créé une page Facebook « Montereau vous est contée » ouverte à tous.
De plus, l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit le cas où la diffamation est commise envers, notamment, un dépositaire de l’autorité publique. A cet égard, il ressort d’un arrêt de la chambre criminelle [2] que la qualité de dépositaire de l’autorité publique, au sens de l’article 31, est reconnue à celui qui accomplit une mission d’intérêt général en exerçant des prérogatives de puissance publique. La protection dudit article n’est applicable que lorsque les propos poursuivis contiennent la critique :
- d’actes de la fonction ou
- d’abus de la fonction de la personne visée.
Le maire est un dépositaire de l’autorité publique, il détient bien des prérogatives de puissance publique.
L’affaire et les moyens de défense invoqués
En l’espèce, l’individu a tenu, le 21 février 2021, les propos suivants à l’égard du maire de Montereau :
« Parti avec un cadre dont il est très très proche ainsi que le véhicule et la carte d’essence de la mairie il n’aura pas de mal à expliquer qu’il est en voyage officiel… Heureux Monterelais vous savez maintenant où vont vos impôts. »
Par conséquent, l’individu a critiqué les actes du maire de la commune dont il est originaire. Selon ses dires, le maire utilisait le véhicule et la carte d’essence de la mairie à d’autres fins que l’exercice de ses fonctions. Se faisant, il inquiète les habitants de la commune en insinuant que leurs impôts servent aux déplacements personnels du maire.
Le prévenu niait être l’auteur des propos diffamatoires. En effet, il avançait qu’un tiers avait probablement emprunté son téléphone à son insu et avait créé ladite page Facebook.
En défense, un des proches a témoigné que le prévenu égarait souvent son téléphone. Néanmoins, un tel témoignage apparaît comme insuffisant selon les juges.
La reconnaissance comme le directeur de la publication
La loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) a mis en place un régime de responsabilité des acteurs de l’internet en cas de publication de contenus illicites, comme c’est le cas de la diffamation, sur un site web.
Plus précisément, l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle telle que modifiée par la LCEN dispose que « Tout service de communication au public par voie électronique est tenu d’avoir un directeur de la publication ».
Pour que l’individu soit reconnu comme le directeur de la publication, il doit être à l’origine des propos publics. Il est alors responsable du contenu publié.
E, l’espèce, les éléments suffisent à affirmer que le prévenu est bien à l’origine de la page Facebook litigieuse. A cet égard, le téléphone utilisé pour la création de la page avait été vérifié par l’envoi d’un SMS.
De plus, le prévenu est originaire de la commune dont l’objet de la page Facebook est de commenter l’activité. Il ne fait ainsi aucun doute quant à son implication dans la rédaction de la publication diffamatoire.
En conclusion, l’individu a été condamné, en tant que directeur de la publication, à payer une amende de 500 €. Par ailleurs, il doit verser 400 € au maire au titre de la réparation du préjudice moral ainsi que 1500 € au titre des frais engagés pour se défendre. Enfin, il est évidemment tenu de supprimer le post litigieux publié le 21 février 2021.
Virginie Bensoussan-Brulé
Tess Sedbon élève-avocate
Lexing Contentieux numérique
[1] Virginie Bensoussan-Brulé « Condamnation pour injures publiques à caractère racial sur Twitter », Lexing Alain Bensoussan Avocats, 8 février 2022.
[2] Arrêt de la Chambre criminelle du 6 janvier 2015, n°13-86.330