Plusieurs créateurs et couturiers ont su très vite percevoir les multiples opportunités fournies par l’impression 3D.
La mode expérimente et adopte l’impression 3D
Les exemples sont nombreux, chaussures, robes, sacs à main, accessoires de mode, témoignant de cette recherche de la mode vers de nouveaux terrains d’expression technologique.
Certains grands créateurs ont été précurseurs dans le domaine ; tels que Alexander McQueen (1), présentant des chaussures fabriquées en impression 3D dès 2010. Iris Van Herpen (2) est venue prolonger le phénomène par la création de robes squelettes ainsi que et parmi d’autres Anouk Wipprecht (3) développant des robes araignées fabriquées grâce à l’impression 3D.
Sans oublier la maison emblématique Chanel faisant défiler des mannequins vêtus de vestes dont la structure a été conçue grâce à l’impression 3D (4) (par utilisation de la technique du frittage laser).
Les acteurs du prêt-à-porter (5) se sont également saisis de l’impression 3D qui vient bouleverser les modes de consommation et de production en offrant la possibilité aux consommateurs de personnaliser des produits standard. La consommation grand public, dans le domaine de la mode en particulier, est en passe de basculer vers l’achat de produits personnalisés jusqu’au sur-mesure. Demain pourrait être un retour vers la grande époque de la confection sur mesure de la première moitié du XXe siècle tout en la dépassant grâce aux technologies modernes qui permettent une fabrication beaucoup plus rapide.
L’impact de cette technologie ne se limite pas au domaine de la création, cette technologie vient susciter des interrogations juridiques.
L’impression 3D et le droit d’auteur
La titularité, la protection et la défense des droits de propriété intellectuelle engagés dans la création par impression 3D, sans être bouleversés, doivent être abordés de manière spécifique.
En effet, la fabrication par impression 3D, qui est une fabrication assistée par ordinateur, suppose la création d’un fichier 3D, qui exprime dans un langage particulier une création qui sera ensuite fabriquée par une imprimante 3D. Autrement dit, le fichier 3D est un fichier électronique qui représente de manière numérique un objet en trois dimensions.
Si l’objet imprimé est considéré comme original et est donc protégeable par le droit d’auteur, la question se pose de savoir si un fichier 3D est, indépendamment de l’objet imprimé, une œuvre de l’esprit susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. Dans l’affirmative, il convient de déterminer qui peut revendiquer des droits d’auteur sur l’objet imprimé.
Si une même personne conçoit l’œuvre, la modélise via un logiciel de modélisation 3D et procède ensuite à son impression ou délègue éventuellement son impression à un tiers à qui elle envoie le fichier 3D finalisé, il n’y a pas de débat : cette personne est auteur au sens du Code de la propriété intellectuelle et elle seule peut revendiquer l’intégralité des droits d’auteur sur l’œuvre imprimée.
En revanche, la réponse est plus délicate lorsque la fabrication de l’objet par impression 3D fait intervenir un créateur A qui a dessiné ou fabriqué un prototype de son oeuvre et une personne B qui, à la demande du créateur A, modélise ensuite ce prototype via un logiciel de modélisation et crée un fichier 3D. La personne B peut-elle, ou doit-elle, être considérée comme auteur du modèle imprimé grâce au fichier 3D ?
De la réponse à cette question va dépendre la nécessité d’organiser, ou pas, une cession des droits d’auteur entre A et B, permettant à A de diffuser, de reproduire, de commercialiser l’œuvre imprimée.
Par analogie avec l’analyse du caractère protégeable des logiciels dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt fondateur de la Cour de cassation en matière de protection des logiciels, il peut tout d’abord être relevé que le caractère technologique d’un fichier 3D n’est pas un obstacle en soi pour reconnaître qu’un fichier 3D puisse être protégé par le droit d’auteur (6).
En outre, dans le prolongement de cet arrêt, il semble possible de démontrer que le fichier 3D n’est pas l’expression d’une simple méthode, laquelle est expressément exclue de la protection par le droit d’auteur.
Par ailleurs, selon les cas, le fichier 3D pourrait être analysé comme exprimant un « effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante » et que « la matérialisation de cet effort réside dans une structure individualisée » (7).
A cet égard, une analogie peut également être faite entre le créateur du fichier 3D avec les traducteurs d’œuvres littéraires, qui sont reconnus comme auteurs d’une œuvre nouvelle : à l’instar des traducteurs qui doivent choisir entre des modes de présentation et d’expression (8), l’auteur d’un fichier 3D doit fournir un effort intellectuel personnalisé pour que l’objet préconçu par l’auteur du prototype d’origine puisse aboutir à un objet imprimé.
A ce jour, il ne semble pas exister encore de jurisprudence sur cette problématique, mais avec l’essor de la fabrication par impression 3D, les juges seront très probablement conduits à se prononcer sur le sujet.
Naïma Alahyane Rogeon
Lexing Droit Design et Création
Anne-Sophie Cantreau
Lexing Droit des marques
(1) Site internet Alexander McQueen
(2) Site internet Iris van Herpen
(3) Site internet Anouk Wipprecht
(4) Défilé Haute couture Automne Hiver 2015-2016
(5) Site internet 3Dnatives, Post du 3-10-2016
(6) Cass. com. 7-3-1986, n° 83-10.477 Sté Babolat Maillot Witt c/ X
(7) Cass. com. Ass. Plén., 7-3-1986, n° 83-10.477 précité
(8) CPI, art. L112-3