Par décision en date du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré le reporting prévu dans la loi Sapin 2.
La Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Loi Sapin 2 » (1), prévoyait initialement, en son article 137, l’obligation d’établir, pour certaines multinationales, un reporting fiscal, pays par pays.
Précisément, les sociétés, ayant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros, devaient être tenues de diffuser au public les informations suivantes :
- le nombre de salariés ;
- le chiffre d’affaires ;
- le résultat avant impôt sur les bénéfices ;
- l’impôt sur les bénéfices dû pour l’exercice en cours ;
- l’impôt sur les bénéfices acquittés.
Ce dispositif, qui devait être consacré à l’article L. 225-102-4 du Code de commerce, devait progressivement s’étendre à des sociétés plus petites, jusqu’à descendre à un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros.
Plusieurs organisations non gouvernementales réclamaient, depuis quelques années, cette obligation, pour les multinationales, de déclarer un certain nombre d’indicateurs économiques et fiscaux, dans chacun des pays où elles exercent une activité, afin de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, mais également de permettre à la France de « rattraper son retard » en matière de lutte anticorruption.
Le syndicat du patronat (Medef), quant à lui, s’est ému d’un tel dispositif, aux motifs qu’imposer à certaines sociétés de publier, en libre accès, des informations financières clés, pour chaque État membre de l’Union européenne dans lequel elles sont implantées (chiffre d’affaires, filiales, effectifs, bénéfice, impôts payés, etc.), était une « aberration économique » en ce qu’il consistait à révéler des informations stratégiques aux concurrents.
In fine, le Conseil constitutionnel a donné gain de cause à l’organisation patronale et aux détracteurs de ce dispositif, en déclarant cette mesure phare de la loi Sapin 2 inconstitutionnelle (1).
Les Sages de la rue Montpensier ont ainsi considéré que l’obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux correspondant à leur activité, pays par pays, était de nature à permettre à l’ensemble des opérateurs intervenant sur les marchés où s’exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d’identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale.
Ils en ont conclu qu’une telle obligation portait, dès lors, une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre, au regard de l’objectif poursuivi, et qu’elle était ,par conséquent, contraire à la Constitution.
Cette décision a fait l’objet de critiques de la part des promoteurs de ce dispositif, considérant qu’elle fermait la porte à une véritable transparence fiscale et rappelant que la liberté d’entreprendre n’étant ni générale, ni absolue, pouvait souffrir de limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, ce à quoi correspond la lutte contre l’évasion fiscale, qui permet de garantir l’égalité devant l’impôt et de s’assurer ainsi que chacun des contribuables paie sa juste part.
A l’heure où nos démocraties libérales réclament davantage de transparence, il y a fort à parier que ces droits et libertés fondamentaux, que sont la liberté d’entreprendre et l’égalité devant l’impôt, auront encore certainement des occasions de se confronter dans les années à venir.
Pierre-Yves Fagot
Maxime Guinot
Lexing Droit Entreprise
(1) Conseil constitutionnel, Décision 2016-741 DC du 8-12-2016