Inexécution contractuelle : un tiers peut-il s’en prévaloir ?

faute délictuelleLe manquement à une obligation contractuelle ne peut être simplement assimilé à une faute délictuelle et ainsi engager la responsabilité d’un contractant à l’égard de tiers, victimes de l’inexécution d’un contrat. En l’occurrence, le seul manquement à l’obligation de résultat, de livrer un ouvrage conforme et exempt de vices, est impropre à caractériser une faute délictuelle.

Ce principe résulte de l’arrêt de principe rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 18 mai 2017 (1).

Le rappel des faits

A la suite de travaux de chauffage dans un immeuble et un lot voisin, un lot de copropriété est affecté par une importante condensation. Le copropriétaire et le locataire des locaux affectés assignent en responsabilité civile délictuelle le syndicat de copropriétaires et le propriétaire du lot voisin, pour obtenir l’indemnisation de leur préjudice. Ces derniers, maîtres d’ouvrage, appellent en garantie l’un des entrepreneurs en charge des travaux et le cabinet d’étude.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence condamne l’entrepreneur appelé en garantie. Ce dernier était engagé solidairement, envers le locataire du lot voisin, à livrer un ouvrage conforme aux prévisions contractuelles et exempt de vices. En manquant à son obligation contractuelle, la Cour considère qu’il a commis une faute à l’origine de la condensation anormale. Il engage donc sa responsabilité délictuelle à l’égard des demandeurs, tiers au contrat.

La 3e chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil. En se contentant d’assimiler manquement à l’obligation contractuelle de résultat et faute délictuelle, la Cour d’appel a violé le texte susvisé.

Pas d’assimilation automatique du manquement à une obligation de résultat à une faute délictuelle

Pour obtenir l’indemnisation de son préjudice, le tiers ne peut se contenter d’invoquer le manquement par une partie au contrat à son obligation de résultat. Il doit engager sa responsabilité délictuelle et donc apporter la preuve de la faute de cette partie, sur un plan délictuel.

Le tiers au contrat ne pourrait donc pas bénéficier du renversement de la charge de la preuve et de la présomption de responsabilité. Ce régime probatoire associé à l’obligation de résultat, ne pourrait jouer qu’entre les parties au contrat, à l’exclusion des tiers.

Evolution de la notion de faute délictuelle

Cet arrêt du 18 mai 2017, rendu au visa général de l’article 1382 devenu 1240 du Code civil suite à la réforme du droit des obligations, est assorti d’une publication particulière. Outre sa publication au Bulletin, il figurera dans le rapport annuel de la Cour de cassation.

Il semble donc constituer un véritable arrêt de principe, se démarquant de l’arrêt du 6 octobre 2006 de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (2).

Pour rappel, l’Assemblée plénière avait posé le principe suivant : « Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Compte tenu de la généralité des termes employés, une partie de la doctrine avait conclu à une assimilation du manquement contractuel à la faute délictuelle.

Tel n’est manifestement pas le cas. Reste que la portée de l’arrêt du 18 mai 2017 est encore à préciser.

Un arrêt à la portée incertaine

En effet, cet arrêt marque-t-il la fin de l’assimilation des faits générateurs de la responsabilité civile contractuelle et délictuelle ? Ou doit-on simplement considérer que cette assimilation est exclue lorsque le manquement dont se prévaut le tiers est relatif à une obligation de résultat ?

Rien ne permet de se prononcer. Les termes employés par la Cour de cassation semblent relativement mesurés et ne n’excluent pas nécessairement toute assimilation entre manquement contractuel et faute délictuelle.

D’ailleurs, malgré la généralité du principe posé par l’Assemblée plénière en 2006, les tribunaux n’avaient pas systématisé le principe selon lequel une inexécution contractuelle constituait nécessairement une faute délictuelle (3). Bien au contraire, l’application du principe restait très limitée (4).

Une clarification apparait nécessaire, notamment au regard des enjeux assurantiels. Celle-ci pourrait être réalisée directement par le législateur dans le cadre d’une prochaine réforme du droit de la responsabilité civile.

Que dit le projet de réforme ?

Le Projet de réforme de la responsabilité civile prévoit d’encadrer le recours des tiers lorsqu’ils subissent un dommage du fait de l’inexécution d’un contrat.

Par principe, le tiers ne pourra demander réparation à l’une des parties au contrat, auteur du dommage, que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle. Il devra donc apporter la preuve d’une faute délictuelle, d’un dommage et un lien de causalité entre les deux (5). Cette faute délictuelle peut consister en la violation d’une prescription légale ou en un manquement au devoir général de prudence ou de diligence. Elle peut aussi résulter du fait des choses corporelles que l’on a sous sa garde (Projet, art. 1242 et 1243). Dans ce cas, la victime du dommage pourra obtenir l’entière réparation du préjudice subi.

Pour autant, le projet de réforme innove en prévoyant que certains tiers peuvent également agir en responsabilité contractuelle si un manquement contractuel leur a causé un dommage.

Seul le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat est concerné (Projet, art. 1234 al 2). Dans ce cas, les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Le tiers devra donc établir un manquement contractuel. Pour autant, les clauses qui limitent la responsabilité d’un contractant à l’égard des tiers sont, dans ce cas, réputées non écrites, de sorte que le tiers semble pouvoir se prévaloir d’une réparation intégrale de son préjudice.

Ces propositions prennent en compte les résultats de la consultation publique menée, qui a permis de recueillir plus de cent contribution. Elles feront, en tout état de cause, l’objet d’un débat parlementaire, sous réserve qu’un projet de loi soit déposé par le nouveau gouvernement, comme l’appelait de ses vœux l’ancien Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas (6).

Recommandations

En conséquence, il est recommandé aux professionnels du secteur de l’Informatique de revoir leurs conditions générales de vente et de prestations de service. Les clauses limitatives ou exclusives de réparation doivent ainsi anticiper le risque d’action de tiers « intéressés » au contrat.

A titre d’exemple, ces clauses peuvent préqualifier en dommages indirects la réparation des dommages subis par des tiers au contrat, ou inclure des mécanismes de garanties. Bien que non opposables aux tiers au contrat, de telles clauses sont opposables au cocontractant, et pourraient limiter les actions récursoires des tiers.

Jean-François Forgeron
Sophie Duperray
Lexing Droit de l’Informatique

(1) Cass. 3e civ., 18-5-2017, n° 16-11203, Bull. civ. III.
(2) Cass., Ass. plén., 6-10-2006, n°05-13255.
(3) Dimitri Houtcieff, « Toute faute contractuelle n’est pas nécessairement délictuelle à l’égard des tiers », Recueil Dalloz 2017, p. 1225.
(4) A titre d’exemple : Cass. 1e civ., du 15-12-2011, n°10-17691 (le manquement d’un agent immobilier à son devoir de conseil envers son client ne constitue pas une faute quasi-délictuelle à l’égard de la banque, tiers au contrat).
(5) Projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017, par Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la Justice suite à la consultation publique menée d’avril à juillet 2016, art. 1234.

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