Infiltration et caméra cachée : ni montage ni escroquerie

caméra cachéeLa diffusion de reportages en caméra cachée suscite bien des débats, tant déontologiques que juridiques.

Si l’atteinte à la vie privée est généralement invoquée pour condamner l’utilisation de la caméra cachée, la jurisprudence ne s’était pas encore prononcée sur les délits de montage et d’escroquerie.

Dans un arrêt rendu le 30 mars 2016 (1), la Cour de cassation a rejeté les qualifications de montage et d’escroquerie s’agissant d’un reportage tourné en caméra cachée intitulé « A l’extrême droite du père », diffusé sur France 2 dans le magazine « Les Infiltrés ».

En l’espèce, un journaliste s’était introduit dans des établissements et associations catholiques traditionnalistes, muni d’une caméra cachée, en dissimulant sa qualité de journaliste, afin de faire état de certaines réalités de milieux d’extrême droite.

A la suite de la diffusion de ce reportage, plusieurs plaintes avec constitution de partie civile avaient été déposées des chefs d’atteinte à la vie privée (articles 226-1 et 226-2 du Code pénal), montage portant atteinte à la représentation des personnes (article 226-8 du Code pénal), et escroquerie (article 313-1 du Code pénal).

La Chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de non-lieu partiel prononcée par le juge d’instruction, rejetant les qualifications de montage et d’escroquerie aux motifs que :

  • s’agissant du délit de montage, « l’article 226-8 du code pénal ne réprime pas le montage en tant que tel, mais en ce qu’il tend à déformer de manière délibérée des images ou des paroles, soit par ajout, soit par retrait d’éléments qui sont étrangers à son objet ». Or, en l’espèce, si le reportage était bien le fruit d’un montage, puisque les journalistes ont effectué des coupures et sélections de séquences, ce reportage « n’a utilisé ni trucage, ni manipulation de nature à altérer la réalité des images et paroles filmées et enregistrées, et n’a pas opéré de modification de leur portée ou de leur signification » ;
  • s’agissant du délit d’escroquerie, la chambre de l’instruction a estimé que « si le journaliste a usé d’un faux nom, celui-ci n’a pas joué de rôle déterminant », et « que le fait de taire sa qualité professionnelle ou de se prétendre militant, athée ou bénévole, auprès des personnes rencontrées, ne constitue pas une prise de fausse qualité au sens de la loi, mais un simple mensonge », et qu’enfin « le procédé de l’infiltration, s’il concourt à révéler ou mettre à jour, sans leur consentement, les comportements de ces personnes, sans les provoquer, ne constitue pas une manœuvre frauduleuse caractérisant le délit [d’escroquerie] ».

En rejetant les pourvois contre l’arrêt de la chambre de l’instruction, la Cour de cassation apporte tout d’abord une définition du « montage », qui pour être punissable doit constituer une manipulation des images et des paroles. Elle rejette ainsi l’argument selon lequel l’irrespect de la « chronologie des séquences » viendrait dénaturer la réalité.

Elle précise ensuite les contours de la notion d’escroquerie, considérant que l’infiltration ne constitue pas une manœuvre frauduleuse, et que le fait de taire sa qualité de journaliste et de se prétendre militant, athée ou bénévole ne caractérise pas l’usage d’une « fausse qualité » au sens de l’article 313-1 du Code pénal (2).

Ainsi, seul le délit d’atteinte à la vie privée semble pouvoir être invoqué par la personne concernée, la jurisprudence appréciant par ailleurs de plus en plus les éléments constitutifs de ce délit au regard de la nécessité de l’information du public, du contenu et de la forme du reportage, ainsi que du comportement antérieur de la personne concernée, et ce sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme (3), en faveur toujours d’une plus grande liberté d’expression.

Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Vie privée et Presse numérique

(1) Cass. crim., 30-3-2016, n° 15-82039, Association cultuelle Institut du Bon Pasteur, M. Philippe X., M. Yannick Y., Association populaire d’enseignement Saint-Projet, M. Robert Z., M. Thomas A., M. Régis B., parties civiles
(2) C. pén., art. 313-1.
(3) CEDH 24-2-2015, n°21830/09, H. et autres c/Suisse.

 

 

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