La CJUE qualifie d’intermédiaire l’exploitant d’une place de marché physique par arrêt du 7 juillet 2016.
Dans cet arrêt (1), la CJUE précise la notion d’intermédiaire au sens de la directive 2004/48.
Les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent solliciter une mesure d’injonction contre l’exploitant d’une place de marché physique. Celui-ci peut être contraint de prendre des mesures pour faire cesser ou prévenir les atteintes commises à l’encontre des titulaires de droits.
Le litige
Le litige opposait l’exploitant d’une place de marché pragoise, Delta Center, à plusieurs sociétés titulaires de droits de marque.
En l’espèce, Delta Center sous-louait à des marchands des points de ventes situés dans ses halles de marché. Les requérants avaient constaté que des marchands y commercialisaient des produits contrefaisants, portant ainsi atteinte à leurs droits de marque. Ils ont donc assigné Delta Center devant les tribunaux pragois.
A l’appui de leur demande, les requérants invoquaient la loi tchèque n°221/2006 transposant l’article 11 de la directive 2004/48 (2).
Cet article permet aux « titulaires de droits [de] demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ».
Aussi, ils demandaient que l’exploitant soit enjoint de prendre des mesures pour faire cesser ou prévenir de telles atteintes. Plus précisément, qu’il soit enjoint de s’abstenir de conclure ou de prolonger les contrats de location avec les marchands contrefacteurs.
La Cour supérieure de Prague rejette la demande d’injonction. Elle estime qu’une interprétation large de l’article 11 de la directive 2004/48 conduirait à des «situations absurdes». Selon elle, cela conduirait à sanctionner toute prestation de service fournie à un marchand. Celle-ci pourrait, en effet, constituer un moyen susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle.
Les requérants forment un pourvoi devant la Cour suprême de la République tchèque. Celle-ci pose alors à la CJUE deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de l’article 11 de la directive 2004/48.
En premier lieu, elle demande si le locataire d’une place de marché physique est un intermédiaire dont les services sont utilisés par des tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
En second lieu, elle demande si ledit locataire peut se voir imposer les mesures d’injonction prévues par l’article 11 précitées dans les mêmes conditions que celles posées par la CJUE par arrêt du 12 juillet 2011 (3) concernant les exploitants d’une place de marché en ligne.
Notion d’intermédiaire sur une place de marché physique
Concernant la première question posée, la CJUE rappelle que la notion d’intermédiaire s’applique aux prestataires de services. Le service fourni doit être susceptible d’être employé par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
Aussi, peu importe que ledit service ne soit pas effectivement utilisé par le tiers pour porter atteinte à un droit. Peu importe également la relation existant entre l’intermédiaire et le tiers.
Par ailleurs, la qualification d’intermédiaire s’applique à l’opérateur économique tant sur une place de marché physique qu’en ligne. La CJUE observe, en effet, que le champ d’application de la directive 2004/48 n’est pas limité au commerce électronique.
La CJUE indique qu’un opérateur fournissant un service de location d’emplacements sur une place de marché doit être qualifié d’intermédiaire. En effet, il offre la possibilité aux marchands d’y vendre des marchandises contrefaisantes.
L’exploitant d’une place de marché physique peut donc être contraint de faire cesser les atteintes commises par les marchands. Il peut également être contraint de prendre des mesures visant à prévenir de nouvelles atteintes.
Conditions des mesures d’injonction
Concernant la seconde question posée, la CJUE rappelle que les modalités d’injonction relèvent du droit national des Etats membres. C’est le cas des conditions à remplir et de la procédure à suivre pour adresser une injonction à un intermédiaire.
La CJUE précise que les conditions d’injonction sont les mêmes, quel que soit l’intermédiaire. Il importe donc peu que l’intermédiaire soit sur une place de marché physique ou en ligne.
Elle réaffirme donc les conditions posées par l’arrêt du 12 juillet 2011 pour adresser une injonction à un intermédiaire.
Ainsi, les mesures d’injonction doivent être effectives et dissuasives afin d’assurer le respect des droits de propriété intellectuelle.
Elles doivent également être équitables et proportionnées.
Il convient d’assurer un juste équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et l’absence d’obstacles au commerce légitime.
Dans ce cadre, si l’intermédiaire peut être contraint de prendre des mesures afin d’éviter de nouvelles atteintes aux droits de propriété intellectuelle, celui-ci ne saurait se voir imposer d’obligation générale de surveillance des marchands.
Virginie Brunot
Justine Ribaucourt
Lexing Droit Propriété industrielle
(1) CJUE, 7-7-2016, aff. C-494/15, Tommy Hilfiger Licensing LLC et autres c/ Delta Center a. s.
(2) Dir. 2004/48/CE du 29-4-2004, art. 11.
(3) CJUE, 12-7-2011, aff. C-324/09, L’Oréal et autres c/ eBay International AG et autres