Internet et Loi Evin : un évolution notable.
La loi du 21 juillet 2009 (1) a ajouté internet à la liste des supports limitativement autorisés à la propagande et à la publicité en faveur des boissons alcoolisées et, de ce fait, un nouveau paragraphe à l’article L 3323-1 du Code de la santé publique.
Internet et Loi Evin
Cette extension est assortie de conditions qui laissent subsister certaines incertitudes sur sa portée, et ces incertitudes aboutissent à des décisions jurisprudentielles contradictoires, qui placent, une fois encore, les annonceurs dans une situation d’inconfort juridique peu compatible avec la nature pénale du dispositif mis en place lors de la promulgation de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme , dite « loi Evin ».
La publicité et la propagande en faveur des boissons alcoolisées est désormais autorisée « sur les services de communication en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du Code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle. » (2).
Internet et Loi Evin : campagne Ricard
La première décision a pris la forme d’une ordonnance de référé rendue le 5 aout 2011 par la première vice-présidente du Tribunal de grande instance de Paris qui a jugé manifestement illicite l’application « Ricard Mix Code », ainsi d’ailleurs que la campagne titrant « Un Ricard, des rencontres » lancée en juin 2011 (3).
Cette application était exclusivement disponible sur les mobiles iPhone et ne fonctionnait que par le biais d’une connexion internet. Elle n’était, en outre, utilisable que par les titulaires d’un compte Facebook. Elle leur permettait d’accéder aux recettes de cocktails via les « Ricard Mix Codes », qui devaient être récupérés sur la page Facebook officielle Ricard, et de visionner le film de cette campagne publicitaire directement sur leur iPhone.
Une étude datée du 16 février 2010, produite par l’annonceur, ayant établi que les possesseurs d’iPhone sont constitués à 64% d’hommes âgés de 25 à 44 ans, le juge des référés a pu en déduire que l’application « Ricard Mix Code » n’est pas principalement destinée à la jeunesse. Après avoir énoncé que cette application n’est pas un mode de publicité « intrusif, » puisque c’est l’internaute qui télécharge l’application, ni « interstitiel », puisque la campagne n’apparait pas de manière intempestive et qu’elle constitue un service de communication en ligne au sens de l’article L3323-2 précité, le juge des référés a finalement décidé le contraire sur la base d’une motivation discutable et dérivée de l’obligation d’ouvrir un compte Facebook pour ouvrir l’application en cause.
Le juge des référés a considéré que cette obligation permet à l’annonceur de faire connaitre et d’améliorer son image et celle de ses produits auprès de toutes les personnes qui consultent Facebook, au motif que « l’information selon laquelle le téléchargeur a ouvert les applications Ricard est diffusée à tout son réseau de connaissances ». Il en a déduit « que le fait de passer par le réseau social Facebook ne constitue pas seulement un service de communication en ligne, mais amène la société Ricard à faire de la publicité de manière intrusive, puisque l’intégralité des informations publiées sur Facebook, à l’exception du profil, peut être consultée » et que l’application, telle qu’elle a été mise en place par la société Ricard, est donc illicite (…) ».
Une telle décision avait pour effet de remettre en cause, sur le plan pratique, l’ouverture du support internet prévue par le législateur pour les publicités en faveur de boissons alcoolisées, compte tenu du rôle déterminant que revêt l’association des réseaux sociaux et de leurs usagers dans le succès d’une campagne publicitaire. Elle conférait à la notion de publicité intrusive une signification trop large par rapport à la signification grammaticale de l’adjectif « intrusif », et de définition de ce type de publicités qui visent principalement les Pop-Ups.
Le lexique du Mercator assimile les publicités intrusives à la « communication push », et les définit comme englobant les « messages envoyés par une entreprise, une marque ou un distributeur sans avoir été sollicités par les destinataires ». La publicité ne peut donc être qualifiée d’intrusive qu’à la condition qu’elle apparaisse en tant que telle sur l’une des pages Facebook des amis de la personne qui aura téléchargé l’application Ricard Mix Code. Or, telle n’est pas le cas, puisque lesdits amis reçoivent seulement l’information selon laquelle la personne qui a téléchargé cette application l’a aimée, ce qui exclut toute diffusion automatique et implique que cette personne ait décidé de porter cette information à leur connaissance. La notion de publicité intrusive a donc été retenue dans cette affaire à bien mauvais escient.
Internet et Loi Evin : campagne publicitaire diffusée en faveur du whisky J&B
La seconde décision a également pris la forme d’une ordonnance de référé, rendue le 6 janvier 2012 par le même magistrat, au sujet d’une campagne publicitaire diffusée en faveur du whisky J&B et comprenant un jeu diffusé sur son site internet et accessible par les internautes dans les mêmes conditions que le précédent (4). Le juge des référés a estimé que ce jeu « ne constitue pas un mode de publicité intrusif, puisque c’est l’utilisateur qui télécharge lui même l’application, ni interstitiel, puisque le jeu n’apparaît pas de manière intempestive, tel que cela résulte du constat d’huissier produit, et qu’il ne constitue pas une publicité ciblée.
Cette décision rétablit la situation qui résultait de l’ordonnance du 5 aout 2011 dans un sens nettement plus conforme à la réalité des faits et de la règle de droit concernée, et présente donc un intérêt non négligeable pour les annonceurs, leurs agences et leurs conseils. L’agence de l’annonceur a produit une étude démontrant que 58% des utilisateurs de Facebook sont âgés de plus de 25 ans et plus, et que 17% d’entre eux ont entre 13 et 17 ans. Les résultats de cette étude auraient pu suffire pour en déduire que le service de communication en ligne utilisé en l’espèce n’est pas « principalement destiné à la jeunesse » et que, sous réserve d’une non conformité de son contenu aux dispositions de l’article L3323-4 du Code de la santé publique, il n’y avait pas lieu de faire droit aux demandes de l’ANPAA.
Le juge des référés a manifestement eu le souci de répondre aux arguments des parties, et a procédé à deux constats contradictoires, ce qui s’explique le fait que le premier émane de l’annonceur et de son agence de publicité, tandis que l’autre lui a manifestement été inspiré par l’ANPAA. Il a retenu que les paramétrages du jeu prévoient que les personnes qui se déclarent âgées de moins de 21 ans ne peuvent pas obtenir l’affichage du jeu, que ce soit sur le site de l’annonceur ou sur le réseau Facebook, puis qu’il est aisé de ne pas déclarer son âge véritable, « puisqu’aucune possibilité de vérification efficace n’est mise en place. ».
Cette contradiction a été tranchée comme suit : « Attendu cependant que la publicité étant autorisée sur un service de communication en ligne, elle ne peut pas être interdite sur les réseaux sociaux tels que Facebook, dès lors que la société Moet Hennesy Diageo limite officiellement sa cible aux personnes âgées de 21 ans. » La portée de la décision prise sur ce point par le juge des référés doit être bien comprise en fonction du contexte dans lequel elle a été prise, c’est à dire au vu d’une application disponible sur un service de communication qui n’est pas principalement destiné à la jeunesse, et d’un jeu qui n’était pas non plus particulièrement ciblé sur un public de jeunes gens incluant des mineurs.
La prévision d’une question sur l’âge des utilisateurs ne confère donc pas toutes les autorisations, et doit donc être considérée comme étant nécessaire, mais non suffisante, considérée isolément, pour échapper à toutes poursuites judiciaires de l’ANPAA. Il reste que la première manche du combat engagée par cette association pour faire juger que les réseaux sociaux sont interdits par principe à la publicité en faveur d’une boisson alcoolisée est perdue, ce qui ne supprime pas le devoir de vigilance devant être observé pour éviter les réseaux sociaux qui pourraient être principalement destinés à la jeunesse ou à une cible d’amateurs ou de professionnels du sport, ainsi que les modes de publicité intrusifs ou interstitiels.
(1) Loi n° 2009-879 du 21-7-2009
(2) Code de la santé publique, art. L3323-2
(3) Ord réf TGI PAris 5-8-2011 n° 11-56221 ANPAA c.Ricard
(4) Ord réf TGI Paris 6-1-2012 n° 11-59895 ANPAA c. Moet Hennessy Diageo et Toc media