La Cour de cassation s’est prononcée sur l’impact de l’introduction d’une IA sur les conditions de travail, le 12 avril 2018 (1).
Une société bancaire avait présenté à ses instances représentatives du personnel un projet qui portait sur l’introduction d’un programme informatique visant à faciliter le flux important des courriels clients entrants.
Lors de sa consultation, le CHSCT a considéré que ce logiciel, présenté comme optimisant le travail des chargés de clientèles, était lié à un projet de technologie cognitive (programme informatique d’intelligence artificielle Watson, conçu et développé par la société IBM) dont résulterait un redécoupage potentiel des missions des salariés au sein d’une agence.
Partant de ce constat, le CHSCT a jugé qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions de travail qui lui ouvrait droit à une expertise (ancien article L.4614-12, 2° du Code du travail). La version antérieure du Code du travail prévoyait en effet cette faculté en cas de « projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » des salariés.
A la suite d’un recours judiciaire de l’employeur selon la procédure de référé, la délibération décidant le recours à l’expertise s’est vue annulée par le Tribunal de grande instance de Lyon.
Par suite, la Cour de cassation a validé la décision du tribunal au motif que ce projet ne présentait pas la condition d’importance visée par les dispositions légales. La Cour de cassation s’est appuyée sur les considérations du tribunal.
Ainsi, les fonctionnalités de l’outil, l’assistance à l’orientation et à la priorisation dans le traitement des demandes clients basée sur des mots-clés avaient des conséquences mineures sur les conditions de travail directes des salariés dont les tâches vont se trouver facilitées. Partant, l’expertise a été annulée et la Cour de cassation a estimé que le CHSCT ne pouvait pas solliciter de report de son délai préfix de consultation de 2 mois.
L’impact d’une IA sur les conditions de travail
Toutefois, cette décision ne démontre pas qu’un projet lié à l’IA serait par principe neutre en termes de conditions de travail et échapperait au champ de l’expertise du CHSCT. En effet, l’appréciation du juge s’effectue au cas par cas selon les modalités de fonctionnement propres de chaque IA et les répercussions d’une IA sur les conditions de travail.
Dans cette situation, l’entreprise doit argumenter et prouver qu’au-delà de la recherche d’une amélioration de la performance globale dans le service, le projet permet d’apporter une amélioration des conditions de travail. Dans cette affaire, il apparaissait clairement que les tâches des salariés seraient facilitées.
Cet arrêt démontre ainsi la pertinence et l’utilité du recours à l’IA, qui, lorsque les conditions sont réunies, est un ingrédient d’amélioration des conditions de travail et de la qualité du travail.
NB : S’agissant de ces expertises, la réforme du Code du travail (2) a maintenu le dispositif au profit du Comité social et économique (CSE), lorsque celui-ci dispose de la totalité de ses attributions (dans les entreprises d’au moins 50 salariés).
Néanmoins, le cadre de ces expertises est réaménagé. Il réunit dorénavant sous le même régime les situations de projet d’introduction de nouvelles technologies en premier lieu et d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail en second lieu (C. travail art. L.2315-94, 2°).
Emmanuel Walle
Philippine Lepicard
Lexing Droit du travail numérique
(1) Cass. soc., 12 avril 2018, n° 16-27866.
(2) Décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017 relatif au comité social et économique