La contrefaçon peut résulter de la fourniture d’un moyen relatif à l’élément essentiel de l’ invention, la Cour de cassation l’a récemment rappelé en précisant les conditions de la contrefaçon de brevet par fourniture de moyens.
L’exigence de la fourniture d’un moyen se rapportant à l’élément essentiel de l’ invention
Les mesures d’interdiction prononcées à l’encontre d’un contrefacteur visent tous les actes de contrefaçon. Aussi, au-delà des actes de contrefaçon directe, le titulaire du brevet peut interdire la fourniture de moyens en vue de réaliser l’ invention.
La contrefaçon par fourniture de moyens en matière de brevets d’ invention est régie par l’article L.613-4 du Code de la propriété intellectuelle. Cet article interdit, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, la fourniture d’un moyen se rapportant à un élément essentiel de l’ invention. Il doit être prouvé cumulativement :
- que ce moyen est apte à mettre en œuvre l’ invention brevetée,
- qu’il est destiné à cette fin et
- que le fournisseur le savait ou que cela ressortait de façon évidente des circonstances.
Pour caractériser la contrefaçon, il n’est pas nécessaire que la totalité des moyens soient fournis. En revanche, le moyen fourni doit se rapporter à un élément essentiel de l’invention elle-même et non un élément d’un produit ou d’un service mettant en œuvre l’invention. Il a notamment été jugé que le moyen propre à recevoir l’invention brevetée n’est pas essentiel (1). En revanche, l’élément qui participe au résultat revendiqué constitue un moyen essentiel (2).
Dans son arrêt du 8 juin 2017 (3), la Cour de cassation rappelle et précise les conditions de la contrefaçon par fourniture de moyens.
La contrefaçon peut résulter de la fourniture d’un moyen se rapportant à l’un des éléments constitutifs de l’ invention
En l’espèce, le brevet européen invoqué qui désigne la France, porte sur une invention de combinaison consistant dans l’association d’un papier toilette spécifique et d’une buse de distribution des feuilles. Ces moyens coopèrent en raison notamment de leur agencement particulier en vue d’un résultat commun, la distribution des feuilles une à une et peu froissées. La société titulaire du brevet soutenait que deux sociétés concurrentes, en commercialisant du papier toilette destiné à être utilisé avec le distributeur breveté, commettait des actes de contrefaçon par fourniture de moyens.
La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 25 novembre 2014 (4), rejette l’action en contrefaçon considérant que seul l’agencement des moyens coopérant entre eux en vue d’un résultat commun était protégé. Dans un tel cas, le moyen se rapportant à un élément essentiel ne peut consister dans l’un seulement des éléments combinés, en l’espèce le rouleau de papier, en ce qu’il entre dans la constitution de l’invention et contribue au résultat qu’elle produit.
Au visa de l’article L.613-4 du Code de la propriété intellectuelle, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en précisant que lorsqu’un brevet couvre une invention de combinaison de moyens, « la contrefaçon peut résulter de la fourniture d’un moyen se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, lors même qu’il en est un élément constitutif » (3).
L’élément essentiel de l’ invention peut consister dans un élément consommable, dès lors qu’il revêt un caractère essentiel
Dans cette affaire, les juges du fond avaient retenu qu’il ne saurait y avoir de contrefaçon par fourniture de moyens lorsque est fourni un consommable à intégrer au dispositif breveté, ce dernier existant indépendamment du consommable lui-même.
La Cour de cassation tranche différemment. Rappelant les conditions de la contrefaçon par fourniture de moyens, celle-ci précise qu’il est indifférent que l’élément essentiel de l’invention puisse consister en un élément qui est consommable, dès lors que celui-ci revêt ce caractère essentiel (3).
L’absence de vérification et de prise en considération de la condition selon laquelle le produit ne se trouve pas couramment dans le commerce
L’alinéa 2 de l’article L.613-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’il n’y a pas de contrefaçon par fourniture de moyens dans le cas où le moyen fourni se trouve couramment dans le commerce, c’est-à-dire si le produit est commun et peut servir à différents usages.
Dans cette affaire, la Cour d’appel a considéré que la preuve de la compatibilité des rouleaux de papier commercialisés par les sociétés concurrentes avec les distributeurs brevetés n’était pas rapportée. Elle a estimé qu’en conséquence, « la seule livraison ou offre de livraison de rouleaux de papier toilette pouvant être intégrés au dispositif breveté ne saurait constituer un acte de contrefaçon par fourniture de moyens » (4).
C’est cette fois pour défaut de base légale que l’arrêt d’appel est cassé. La Cour de cassation considère que les juges du fond auraient dû rechercher si, compte tenu de ses dimensions spécifiques, le papier incriminé se distinguait des papiers toilettes se trouvant couramment dans le commerce et, en ce cas, « si cette circonstance rendait évident que ces rouleaux étaient aptes et destinés à la mise en œuvre de l’invention » (3).
Dès lors, si les décisions rendues en matière de contrefaçon par fourniture de moyens ne sont pas nombreuses, cet arrêt donne des précisions importantes sur l’application de l’article L.613-4 du Code de la propriété intellectuelle.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Propriété industrielle Contentieux
(1) Cass. com. 28-4-2004, n° 03-15.415
(2) CA Paris 4-3-2009, n° 2007/08437 (réf. INPI : B20090044)
et CA Paris 14-4-2015, n° 2013/15800 (réf. INPI : B20150035)
(3) Cass. com. 8-6-2017, n° 15-29.378
(4) CA Paris 25-11-2014, n° 2013/13513 (réf. INPI : B20140191)