Quel est le sort réservé aux créances des joueurs en cas de liquidation judiciaire de l’opérateur de jeux en ligne ?
Situation
L’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) a publié, le 3 février 2017, un communiqué de presse faisant état de chiffres d’affaires record issus des mises sur les matches du championnat du monde de handball 2017 (17,3 millions d’euros) (1).
Ce communiqué souligne, par ailleurs, qu’en 2016 « 2 081 M€ de mises ont été engagées sur les paris sportifs en ligne, les enjeux générés en handball représentant 1% des enjeux du secteur ».
Enjeux
L’importance de ces chiffres conduisent à s’interroger sur le paiement des sommes dues aux joueurs en ligne (les créances), en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’opérateur exploitant un site de jeux en ligne.
Ce risque d’impayé des créances dues aux joueurs en ligne est loin d’être théorique, comme en témoigne l’exemple récent de la liquidation judiciaire ouverte, le 23 octobre 2014, par le Tribunal de commerce de Bobigny, à l’encontre de la société Epmedia France SAS qui exploitait le site de jeux en ligne « europoker.fr ».
Cette affaire a, d’ailleurs, fait l’objet, le 14 décembre 2016 d’une note information (2) et d’un dossier complet (3), publiés sur le site de l’Arjel, à l’attention des joueurs en ligne, pour faire le point sur l’état de la procédure.
Garanties
Comme le souligne cette note d’information, face au silence de la loi sur le risque d’impayé des créances des joueurs en ligne, l’Arjel impose aux candidats à l’agrément, pour devenir opérateur de paris et jeux en ligne, de souscrire une garantie au profit desdits joueurs, sous la forme d’un contrat de fiducie conclu avec une société tierce (le fiduciaire).
En exécution de ce contrat, l’opérateur de paris et jeux en ligne confie au fiduciaire des fonds, placés sur un compte fiduciaire, et exclusivement destinés à garantir le paiement des créances des joueurs ayant parié sur le site exploité par ledit opérateur.
En cas de défaillance de ce dernier, le fiduciaire est tenu, en exécution du contrat de fiducie, de désintéresser les joueurs créanciers du site de paris et jeux en ligne.
Limites
Cette garantie des créances des joueurs en ligne comporte, néanmoins, plusieurs limites importantes.
D’un point de vue contractuel, les cas de déclenchement de la garantie sont celles strictement prévues au contrat de fiducie, à l’exclusion de tout autre.
Par exemple, ces cas de déclenchement, fixés librement par les contrats de fiducie, peuvent être l’abrogation de l’agrément de l’opérateur par l’Arjel, l’impossibilité pour les joueurs d’accéder à leur compte pendant une certaine durée, etc.
D’un point de vue financier, il n’est pas garanti que les sommes détenues par le fiduciaire soient suffisantes pour payer tous les joueurs créanciers.
C’est ainsi que dans l’affaire europoker.fr, la somme figurant sur le compte fiduciaire ne couvrirait qu’environ 2/3 du montant total des créances des joueurs admises au passif de la liquidation. Le solde de ce compte devrait donc être réparti entre tous les joueurs créanciers, au prorata du montant de leur créance.
En pareille hypothèse, pour obtenir le paiement du solde de leur créance, les joueurs n’auront d’autre choix que de se tourner vers le liquidateur de l’opérateur.
En effet, d’un point de vue procédural, qu’un contrat de fiducie ait, ou non, été conclu, les dispositions du Code de commerce régissant les procédures collectives demeurent applicables.
Cette situation emporte, pour le joueur, l’obligation de déclarer sa créance auprès du liquidateur judiciaire, dans les strictes conditions de formes et délais fixés par lesdites dispositions.
Cette déclaration de créance n’emporte pas, pour autant, un paiement, de plein droit, en faveur du joueur, la créance devant, au préalable, être admise au passif de l’opérateur de paris et jeux en ligne, par les organes de la procédure collective, dans le cadre d’une phase de vérifications des créances déclarées.
Pour admettre ou rejeter une créance ainsi déclarée, les organes de la procédure collective se référent ainsi, notamment, aux conditions générales d’utilisation (CGU) liant l’opérateur de paris et jeux en ligne aux joueurs.
Dans l’affaire europoker.fr, tant le liquidateur que le juge-commissaire ont rejetés certaines créances déclarées par des joueurs, en considérant que celles-ci correspondaient à des bonus et avantages, c’est-à-dire des gratifications commerciales offertes par l’opérateur aux joueurs en ligne, pour récompenser ces derniers pour leur inscription et/ou pour leur fidélité.
Or, ces bonus seraient expressément exclus, par les CGU du site europoker.fr, de la définition des avoirs exigibles par un joueur auprès de l’opérateur à savoir, les sommes transmises par le joueur à europoker.fr aux fins d’alimentation de son compte joueur et les gains éventuels.
Enfin, si la créance est finalement inscrite au passif de l’opérateur, encore faut-il qu’il reste un boni de liquidation à partager entre tous les créanciers, à l’issue de la procédure collective.
Points de vigilance. Jouer comporte ainsi des risques… notamment en cas de liquidation judiciaire de l’opérateur de paris et jeux en ligne, même si celui-ci est agréé par l’Arjel.
Pour limiter ces risques, une particulière vigilance doit être portée tant sur les termes du contrat de fiducie liant l’opérateur au fiduciaire, que sur les CGU du site de paris et jeux en ligne liant l’opérateur et le joueur, d’autant que l’Arjel ne dispose d’aucun pouvoir de contrôle à cet égard.
Pierre-Yves Fagot
Carine Dos Santos
Lexing Droit Entreprise
(1) Arjel, Communiqué du 3-2-2017
(2) Arjel, Note d’information sur l’affaire europoker.fr
(3) Arjel, Dossier complet sur l’affaire europoker.fr et FAQ