Un pas de plus a été franchi sur le front de la juridiction unifiée du brevet (JUB) avec la ratification récente du Protocole d’application provisoire de l’accord JUB par l’Allemagne et la Slovénie.
Fin septembre 2021 (1), le gouvernement Allemand a déposé l’instrument de ratification du protocole d’application provisoire de l’accord JUB (2). Il s’agit d’une étape décisive dans le lancement de la juridiction unifiée du brevet.
Avec la ratification du PAP et de l’accord JUB par la Slovénie le 15 octobre 2021 (3), une seule ratification est désormais nécessaire au lancement effectif de la juridiction ; douze États ayant déjà ratifié l’Accord (4).
La juridiction internationale aura pour tâche de traiter des affaires de :
- contrefaçon et
- validité des brevets unitaires ainsi que des brevets européens.
Après près de cinquante ans de lutte, l’uniformisation de la protection des brevets au niveau européen est en passe d’aboutir.
La recherche d’une protection uniforme en matière de brevet européen
Le « brevet européen » a vu le jour dès 1973 avec la Convention sur la délivrance de brevets européens (CBE). Toutefois, le système mis en place ne concerne que la délivrance des brevets en Europe.
La CBE organise en effet un système centralisé de dépôt, d’examen et de délivrance des brevets dits « européen ». Le système présente, certes des avantages puisqu’il permet :
- de centraliser le dépôt de demandes de brevets au sein d’un seul office, l’OEB et
- d’assurer un examen uniforme de la demande.
Néanmoins, une fois délivré, le brevet est « éclaté » dans les différents états pour lesquels une protection a été revendiquée. Cela signifie que la validation, la gestion et le maintien en vigueur du brevet s’opère de manière individuelle dans chaque état.
De même, l’absence d’effet unitaire du brevet européen est contraignant en cas d’action en contrefaçon. Il doit agir dans chaque état dans lequel il souhaite obtenir des mesures d’interdiction ou de réparation. Corollairement, le tiers qui entend contester un brevet européen doit aujourd’hui agir dans chacun des états où il est protégé.
La solution est, on le voit coûteuse et complexe. En outre, elle comporte une insécurité juridique ; celle de voir apparaître des contradictions entre les décisions qui peuvent être rendues d’un pays à l’autre.
Le brevet unitaire a pour objet de simplifier et sécuriser la protection des brevets européens en étendant l’actuel système centralisé de délivrance des brevets à leur protection et à leur défense par la mise en place :
- d’un brevet européen à effet unitaire, c’est-à-dire dont la portée s’étend, de manière uniforme dans 25 états membres de l’Union européenne ;
- d’une juridiction internationale spécialisée pour connaitre de la contrefaçon et de la validité des brevets européen, que leur effet soit unitaire ou non.
La ratification de l’accord JUB, condition essentielle à l’entrée en vigueur du système unifié de protection
Le système du brevet unitaire se compose principalement :
- Du règlement (UE) n°1257/2012 qui met en œuvre la coopération renforcée pour une protection unitaire en créant le brevet à effet unitaire ;
- Du règlement (UE) n°1260/2012 du 17 décembre 2012 mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction ;
- De l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (Accord relatif à la JUB) du 23 juin 2013.
Les deux règlements sont entrés en vigueur le 20 janvier 2013. Toutefois, ils ne s’appliqueront de manière effective qu’à l’entrée en vigueur de l’Accord relatif à la JUB.
Or, pour entrer en vigueur, l’accord doit être ratifié par au moins treize Etats signataires dont les trois Etats membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets au cours de l’années 2012 (en l’occurrence l’Allemagne, la France et – suite au retrait du Royaume-Uni, l’Italie).
L’entrée en vigueur du brevet européen à effet unitaire est donc indissociable de celle de l’accord relatif à la JUB.
Si la France a rapidement ratifié cet accord, suivi de l’Italie, l’Allemagne a rencontré davantage de difficultés ; des recours ayant été formés contre la loi de ratification de cet accord. Il aura fallu attendre le 23 juin 2021 et l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande rejetant ces recours pour voir s’éclaircir l’horizon de la JUB.
Le 7 août 2021 l’Allemagne adoptait la loi permettant la ratification de l’accord sur la JUB et du protocole sur son application provisoire (PAP). Le 27 septembre 2021, elle déposait son instrument de ratification du PAP.
En ratifiant, moins d’un mois plus tard, le PAP et l’accord JUB, la Slovénie fait de la Juridiction unifiée du brevet une réalité prochaine.
La structure de la juridiction unifiée du brevet
La JUB comprendra :
- un tribunal de première instance ayant des divisions locales et régionales dans les États membres contractants,
- une division centrale,
- une cour d’appel commune sise à Luxembourg.
Le centre de médiation et d’arbitrage en matière de brevets se trouvera à Lisbonne et Ljubljana.
La compétence de juridiction unifiée du brevet
L’article 32 de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet sur la Compétence de la juridiction précise que la juridiction a une compétence exclusive pour les actions suivantes :
- en contrefaçon ou en menace de contrefaçon de brevets et de certificats complémentaires de protection et les défenses y afférentes ;
- en constatation de non-contrefaçon de brevets et de certificats complémentaires de protection ;
- visant à obtenir des mesures provisoires et conservatoires et des injonctions ;
- en nullité de brevets et de certificats complémentaires de protection et les demandes reconventionnelles en nullité de brevets et de certificats complémentaires de protection ;
- en dommages-intérêts ou en réparation découlant de la protection provisoire conférée par une demande de brevet européen publiée ;
- relatives à l’utilisation de l’invention avant la délivrance du brevet ou au droit fondé sur une utilisation antérieure de l’invention ;
- en réparation concernant les licences formées sur la base de l’article 8 du règlement (UE) n° 1257/2012 ;
- concernant les décisions prises par l’OEB dans l’exercice des tâches visées à l’article 9 du règlement (UE) 1257/2012.
Avec la ratification du protocole provisoire par l’Allemagne et la ratification du protocole provisoire et de l’accord par la Slovénie, le système de brevet unifié devrait raisonnablement voir le jour avant la fin de l’année 2022.
Virginie Brunot,
Lexing Département propriété industrielle contentieux
Notes
(1) « L’Allemagne ratifie le protocole d’application provisoire », Communiqué JUB du 27 septembre 2021.
(2) Le protocole d’application provisoire (PAP) signé le 1er octobre 2015, prévoit que certaines dispositions de l’accord sur la JUB (16351/12) entrent provisoirement en vigueur, Voir notre article, « Brevet unitaire européen – JUB : quelles avancées ? », post du 17 11 2015.
(3) « La Slovénie ratifie le protocole d’application provisoire et l’accord JUB », Communiqué JUB du 18 octobre 2021.
(4) Site Internet du Conseil de l’UE : statut des ratifications