L’Autorité de la concurrence a condamné Apple le 16 mars 2020 à une amende d’un montant d’1,1 milliard d’euros et deux de ses grossistes à plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires.
Il s’agit de la plus forte condamnation que l’Autorité de la concurrence ait prononcé depuis sa création, ce qui s’explique par l’ampleur des conséquences des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre sur le marché français par la société Apple pour la commercialisation de ses produits, plus particulièrement ses iPad (et hors iPhone).
L’Autorité de la concurrence avait été saisie en 2012 par l’un des revendeurs de la marque à la pomme. Les opérations de visite et de saisies qui s’en sont suivies ont permis de mettre au jour une série de pratiques anticoncurrentielles, en l’occurrence d’entente entre Apple et ses grossistes, de pratiques de prix imposés au détriment de ses distributeurs et, enfin, d’abus de dépendance économique à l’égard des revendeurs indépendants « Premium »), faussent le libre jeu de la concurrence dans le réseau français de distribution des produits Apple (hors iPhone).
L’Autorité a condamné Apple sur le terrain de l’entente
Le réseau français de distribution des produits Apple est structuré sur deux niveaux. Tout d’abord, Apple vend ses produits à deux grossistes agréés (les leaders mondiaux du secteur). Ensuite, ces grossistes distribuent les produits Apple à différents revendeurs indépendants, ayant souscrit un contrat de distribution, certains ayant la qualité de distributeurs « Premium ».
Bien qu’Apple soit libre d’organiser son réseau de distribution comme elle l’entend, cela ne doit pas aboutir à des pratiques anticoncurrentielles. En ce sens, ses deux grossistes sont des entités indépendantes, capable de décider librement de leur politique commerciale. Or, Apple a opéré une répartition des produits et de la clientèle entre ses deux grossistes, en leur indiquant par la suite les quantités exactes de produits devant être livrés à chaque revendeur.
Les grossistes ont accepté ce processus, caractérisant ainsi l’entente et annihilant toute situation de concurrence entre eux. Associées à la régulation des stocks fournis aux revendeurs, ces pratiques ont eu pour effet de paralyser le marché de gros de produits Apple et de paralyser la concurrence à tous les niveaux de la chaîne de distribution. Compte tenu de l’ampleur économique de cette entente, l’Autorité de la concurrence a condamné Apple ainsi que ses deux grossistes sur ce premier fondement.
La pratique anticoncurrentielle des prix imposés
La condamnation d’Apple par l’Autorité de la concurrence repose également sur la pratique anticoncurrentielle des prix imposés. En effet, Apple diffusait sous l’apparence de « prix conseillés » les prix pratiqués dans son réseau de distribution intégré, composé de ses Apple Store et de son site internet.
En réalité, Apple imposait à ses revendeurs d’appliquer les mêmes prix que dans son réseau de distribution intégré. Loin de se contenter de leur communiquer des prix « conseillés », Apple opérait un véritable contrôle des prix et des promotions pratiqués par ses revendeurs, n’hésitant pas à les contacter pour leur demander de les remonter si elle estimait qu’ils étaient trop bas.
Cette absence de marge de manœuvre laissée aux revendeurs était également visible au travers de certaines clauses contractuelles, dont le non-respect entraînait la rupture immédiate et sans préavis du contrat de distribution. Enfin, Apple faisait peser un risque de représailles sur les revendeurs ne respectant pas les prix imposés, en privilégiant la livraison de concurrents ou par le biais de défaut de livraison.
L’Autorité de la concurrence relève qu’Apple avait une totale maîtrise sur l’approvisionnement et les remises de ses revendeurs. Ainsi, il était impossible pour ces derniers de s’éloigner des « prix conseillés » par la marque. Ces pratiques ont conduit à l’alignement des prix de vente sur près de la moitié du marché des produits Apple en faussant le libre jeu de la concurrence.
La condamnation d’Apple pour abus de dépendance économique
Enfin, l’Autorité de la concurrence a condamné Apple sur le terrain de l’abus de dépendance économique. En effet, l’entente entre Apple et ses deux grossistes, les difficultés d’approvisionnement ainsi que la pratique des prix imposés et des représailles pesant sur les revendeurs « Premium » ont placé ces derniers dans une situation de dépendance économique extrême vis-à-vis de la marque.
Les risques commerciaux et financiers reposaient ainsi directement sur les revendeurs « Premium », leur contrat de distribution s’apparentant davantage à une franchise mais sans bénéficier des contreparties prévues par celle-ci. Cela a permis à Apple de concentrer l’implantation de ses Apple Store dans les zones les plus rentables, tout en soumettant ses revendeurs « Premium » à des conditions commerciales inéquitables et défavorables par rapport à son réseau de distribution intégré.
Par exemple, ils n’étaient pas informés préalablement des lancements de nouveaux produits, de sorte qu’ils ne pouvaient pas servir leurs clients ou procéder à des réservations de produits. De même, leurs conditions de rémunération étaient extrêmement incertaines quant aux conditions d’application des remises et les conditions d’approvisionnement très erratiques, alors que les Apple Store et la boutique en ligne d’Apple étaient régulièrement approvisionnés et réapprovisionnés, sans ruptures de stocks notables. Ces pratiques ont abouti à l’affaiblissement, voire à l’éviction de certains revendeurs « Premium », dont la clientèle finissait par se détourner d’eux au bénéfice des Apple Store ou de la boutique en ligne.
L’Autorité de la concurrence a été contrainte à entrer en voie de condamnation sur ce troisième fondement, ce qui est extrêmement rare dans la mesure où la preuve de l’abus de dépendance économique est probablement l’une des plus complexes à rapporter en droit de la concurrence.
Frédéric Forster
Lexing Département Télécoms
Cyrielle Girard-Berthet
Auditrice de justice de la promotion 2020
Ecole Nationale de la Magistrature
(1) Communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence relatif à l’arrêt du 16 mars 2020 condamnant Apple à 1,1 milliard d’euros. Le texte intégral de la décision sera publié ultérieurement sur le site internet de l’Autorité de la concurrence.