L’usage d’une marque dans la vie des affaires peut être caractérisé en l’absence d’exercice d’une activité commerciale à titre professionnel.
La décision de la CJUE du 30 avril 2020
« Une personne n’exerçant pas une activité commerciale à titre professionnel qui réceptionne, met en libre pratique dans un État membre et conserve des produits manifestement non destinés à l’usage privé, qui ont été expédiés à son adresse depuis un pays tiers et sur lesquels une marque, sans le consentement du titulaire, est apposée doit être regardée comme faisant usage de la marque dans la vie des affaires ».
Tel est le sens de la décision C-772/18 rendue par la Cour de justice de l’Union européenne le 30 avril 2020 dans le cadre d’une question préjudicielle introduite par la Cour suprême de Finlande saisie d’une affaire de contrefaçon de marque dont les faits saillants sont les suivants.
En 2011, une personne physique dénommée B dans la décision, domiciliée en Finlande reçoit, un lot de 150 roulements à billes, provenant de Chine. La marque INA protégée au nom d’une autre personne dénommée A, en Finlande, pour des « roulements », est apposée sur chacun des roulements à billes reçus par B. Après dédouanement des produits, B récupère le lot des roulements à billes dans un entrepôt douanier de l’aéroport d’Helsinki-Vantaa en Finlande et le rapporte à son domicile. Quelques semaines plus tard, il remet le lot de roulements à billes à un tiers en vue de sa réexpédition en Russie. En contrepartie de ce service, B reçoit une cartouche de cigarettes et une bouteille de cognac.
La procédure en première instance et en appel
Une procédure pénale est ouverte à l’encontre de B en Finlande par le tribunal de première instance de Helsinki. A, en qualité de titulaire de la marque INA, se joint à l’action pénale pour solliciter des dommages et intérêts (intérêts civils). Le tribunal de première instance de Helsinki relaxe B au motif qu’il ne pouvait pas qualifier l’infraction intentionnelle. Il lui interdit néanmoins de poursuivre ou réitérer de tels comportements et, le condamne à verser des dommages et intérêts à A.
B forme un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Helsinki.
La cour d’appel considère que B n’a pas fait usage de la marque dans la vie des affaires, estimant que l’agissement de B peut être comparé à une activité d’entreposage et de transit, que B n’a pas eu pour objectif de retirer un avantage économique et que la rémunération en nature qu’il a reçue n’est pas corrélée à l’exploitation économique de la marchandise qu’il avait reçue mais est uniquement la contrepartie d’un service d’entreposage de marchandise pour le compte de tiers. La cour d’appel en conclut que la demande en réparation et indemnisation de A n’est pas fondée.
A forme un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour suprême finlandaise qui, alors, saisit la CJUE d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) sur l’interprétation de l’article 5 de la Directive 2008/95/CE rapprochant les législations des États membres sur les marques.
L’interprétation in concreto de la notion de l’usage d’une marque dans la vie des affaires
La directive d’harmonisation 2008/95/CE (1) prévoit à son article 5 que le titulaire d’une marque peut interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire au point d’emporter un risque de confusion avec le signe de la marque, pour désigner des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée.
Cet article précise que, dans de telles conditions, le titulaire d’une marque peut décider :
- d’interdire à un tiers d’apposer le signe de sa marque sur les produits ou leurs conditionnements,
- d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou
- d’offrir ou de fournir des services sous le signe, ou bien encore,
- d’importer ou d’exporter les produits sous le signe.
Une des questions essentielles soulevée par la Cour suprême finlandaise à la CJUE est de savoir si l’article 5 précité peut s’appliquer à la situation dans laquelle une personne utilise une marque exclusivement au profit d’un tiers et ce, en tenant compte de la jurisprudence de la CJUE (2).
Cette dernière prévoit que le propriétaire d’un entrepôt fiscal et douanier qui entrepose pour le compte d’un tiers des produits revêtus d’un signe identique ou similaire à une marque, ne fait pas un usage de la marque dans la vie des affaires.
L’autre question essentielle était de savoir s’il est envisageable de considérer qu’une importation de produits est caractérisée lorsqu’une personne communique son adresse à un revendeur de marchandises, réceptionne des marchandises qu’elle n’a pas commandées et n’a pas d’autre attitude active et, ce en référence à la jurisprudence de la CJUE (3).
Cette dernière prévoit que la mise dans le commerce de produits suppose leur mise en libre pratique au sens de l’article 29 du TFUE, et donc la perception de droits de douane et de taxes d’effet équivalent par l’État membre concerné.
Le dédouanement et la mise en libre pratique caractérisent l’usage d’une marque dans la vie des affaires
La CJUE répond à ces deux questions principales de manière très limpide.
La communication d’une adresse destinée à être le lieu d’expédition de produits, associée au dédouanement de produits et à la mise en libre pratique de ces produits, constituent bien une importation au sens de l’article 5 de la directive 2008/95.
En outre, l’importation et la mise en libre pratique de produits, tels que ceux visés dans l’affaire qui ne sont manifestement pas destinés à un usage privé, sont suffisants pour caractériser un usage de la marque dans la vie des affaires, sans qu’il soit utile de vérifier si, ensuite, ces produits ont été entreposés ou mis dans le commerce dans l’Union européenne ou exportés vers des pays tiers.
Elle souligne à cet égard que si l’expression « usage dans la vie des affaires » « implique que les droits exclusifs conférés par une marque ne peuvent en principe être invoqués par le titulaire de cette marque que vis-à-vis des opérateurs économiques et, en conséquence, que dans le contexte d’une activité commerciale (…) », il convient toutefois de vérifier « si les opérations effectuées dépassent, en raison de leur volume, de leur fréquence ou d’autres caractéristiques, la sphère d’une activité privée ».
En effet, dans une telle hypothèse, « celui qui les accomplit se place dans le cadre de la vie des affaires ». Au cas présent, la détention d’un lot de 150 roulements à billes qui sont utilisés dans un cadre industriel, notamment comme pièces de rechange dans les mécanismes de transmission, les générateurs, les moteurs ainsi que pour la construction de ponts et de tramways, ne peut manifestement pas s’inscrire dans le cadre d’un usage à titre privé.
Elle précise enfin qu’est sans importance la valeur de la rémunération de l’importateur en contrepartie de son service d’importateur.
En conclusion
Par cet arrêt, la Cour rappelle que la notion d’usage de la marque dans la vie des affaires permettant de caractériser et de sanctionner une contrefaçon de marque, doit toujours être appréciée au regard des circonstances de l’affaire. Elle ne peut pas être écartée au seul motif que celui qui a utilisé la marque d’un tiers est une personne physique qui a « uniquement » réceptionné, entreposé et renvoyé vers un pays tiers des produits revêtus de cette marque protégée, sans recevoir de réelle contrepartie financière.
Anne-Sophie Cantreau
Lexing Département Propriété Industrielle Conseil
(1) Depuis l’époque des faits, la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 a succédé à cette directive rapprochant les législations des États membres sur les marques.
(2) CJUE C-379/14 du 16 juillet 2015.
(3) CJUE C-405/03 du 18 octobre 2005.