Comment réparer un préjudice de producteurs de phonogrammes mis à disposition sur internet ? et surtout comment le calcule-t-on ?
Une société a exploité pendant près de trois ans un site internet permettant d’exploiter de œuvres protégées sans autorisation. Les internautes avaient accès à un logiciel permettant :
- de créer un lecteur audio sur une page personnelle et
- d’écouter gratuitement, sans autorisation, de très nombreux enregistrements musicaux protégés.
En première instance, les prévenus sont jugés coupables de contrefaçon (articles L 335-4 et L 335-2-1 du Code de la propriété intellectuelle) et les parties civiles, deux sociétés de producteurs de phonogrammes chargées de défendre les intérêts de leurs membres, ont obtenu 1.089.755 € de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel (respectivement 871.804 € et 217.951 €), chiffré au montant des recettes publicitaires (« Google Adsense » et « Etoile Media ») générées par le site litigieux (1).
Les prévenus ont interjeté appel de cette décision. Concernant les dispositions civiles du jugement, ils contestent la réparation du préjudice des parties civiles au motif que :
- celles-ci invoquent le préjudice collectif de la profession,
- alors que les dispositions relatives à l’indemnisation des préjudices qui prévoient des dommages et intérêts « punitifs », ne seraient pas applicables au préjudice collectif.
Le préjudice de producteurs de phonogrammes
La prise en compte des bénéfices réalisés par les prévenus pour chiffrer le préjudice ne serait, en conséquence, pas possible. Ils considèrent également que les parties civiles ont retiré des bénéfices de l’innovation du logiciel, dont il faudrait tenir compte. Les parties civiles demandent la confirmation du jugement sur les réparations.
Ayant confirmé la contrefaçon, la décision considère :
- que les parties civiles représentent à la fois les intérêts collectifs de la profession et les intérêts individuels des membres
- qu’elles sont donc bien fondées à demander la réparation des préjudices causés par les infractions (2).
Elle considère en effet que les producteurs ont perdu le montant des redevances qui devaient leur revenir en raison des diffusions réalisées ; mais celles-ci ne sont pas chiffrées. Pour apprécier l’ampleur du préjudice, la Cour prend en compte le nombre de connections au site litigieux (environ 800.000 par jour), les recettes réalisées par les prévenus et des informations fournies par des constats telles que le nombre très important d’artistes et de titres concernés. En outre, un « montant de 0,10 € » a été évoqué dans le cadre de négociations entre les prévenus et des sociétés d’exploitation.
Sur la base de ces informations, la décision estime donc que les demandes des parties civiles ne sont pas excessives et confirme le montant du préjudice retenu par le jugement, un montant de 1.089.755 € correspondant au chiffre d’affaires de publicité réalisé en 2006 et 2007 par la société exploitant le site.
Pourtant, aucune des données fournies par la décision ne permet de considérer que le chiffre d’affaires réalisé par le site corresponde à la perte de redevance subie. Au contraire, si la société avait dû reverser la totalité de son chiffre d’affaires sous forme de redevances au producteur, elle n’aurait pas pu couvrir ses coûts, et n’aurait donc pas pu exister, ni reverser aucune redevance…
Notes
(1) TGI Paris, ch. 31, 3-9-2009, SCPP et SPPF c. Mubility, cf. JTIT n°93/2009.
(2) CA Paris, Pôle 5, ch. 12, 22-3-2011, SCPP et SPPF c. Mubility