Le principe de l’estoppel est souvent mal utilisé et les juges peinent parfois à le caractériser utilement.
D’origine anglo-saxonne, le principe de l’estoppel a progressivement pénétré notre droit depuis le 6 juillet 2005, date à laquelle la première chambre civile de la Cour de cassation l’a mis en application pour la première fois (1).
Ce principe est défini par la Cour de cassation comme le comportement procédural d’une partie « constitutif d’un changement de position en droit de nature à induire l’autre partie en erreur sur ses intentions » (2) pour devenir, in fine, la formule sacramentelle selon laquelle « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » (3).
L’arrêt du 22 juin 2017 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fournit une illustration de ce principe général du droit souvent utilisé à mauvais escient en raison des contours mal connus de cette institution (4).
Les faits et la procédure
En l’espèce, un musée a saisi le juge des référés à fin de désignation d’un expert pour examiner une coupe Nautile.
Les défenderesses avaient présenté l’objet à un commissaire-priseur en vue de sa vente et dont le musée revendiquait la propriété comme lui ayant été volé.
Le juge des référés ayant fait droit à la demande d’expertise du musée, les défenderesses ont, dès lors, interjeté appel de l’ordonnance en soutenant qu’elles devaient être mises hors de cause aux motifs qu’elles étaient étrangères aux opérations d’expertise du Nautile qui serait la propriété de leur mère qui serait seule en sa possession et non pas, comme elles l’ont soutenu jusqu’à l’audience en première instance, la leur.
La Cour d’appel a déclaré irrecevable la demande de mise hors de cause des défenderesses pour violation du principe de loyauté des débats et confirmé l’ordonnance du juge des référés. D’appel en pourvoi, les derniers juges, saisis de la question, ont prononcé la cassation de la décision de la Cour d’appel pour violation du principe de l’estoppel aux motifs que les défenderesses n’avaient pas modifié leurs prétentions au cours du débat judiciaire et qu’ il ne pouvait être tenu compte des allégations antérieures à la procédure de référé pour considérer qu’elles s’étaient contredites au détriment d’autrui.
Cette décision, qui ne révolutionne en rien la jurisprudence, rappelle le domaine très restreint du principe de l’estoppel et invite à distinguer les allégations des prétentions des parties.
Le champ d’application limité du principe de l’estoppel
Ce principe consacre une véritable obligation de loyauté procédurale des plaideurs en ce sens qu’il impose à ces derniers une cohérence au cours de la discussion judiciaire.
La sanction de ce principe est de nature purement procédurale : une fin de non-recevoir de la demande contrevenant à ce principe (1).
La Cour de cassation a été amenée à préciser les contours de ce principe évanescent qui ne saurait se réduire à une simple contradiction.
En effet, le champ d’application de l’estoppel est très étroit et l’incohérence d’un plaideur ne peut être sanctionnée qu’à la double condition que la contradiction porte sur des prétentions (première condition) et qu’elle s’opère dans le cadre d’une seule et même procédure (seconde condition).
La première condition élude ainsi toute contradiction portant uniquement sur une allégation. A la différence d’une prétention qui constitue l’objet d’une demande à laquelle les parties engagées dans une procédure judiciaire sollicitent qu’il lui soit fait droit, l’allégation se résume à l’argumentaire de la demande des plaideurs.
La seconde condition exige une similitude d’instance, c’est-à-dire que la contradiction soit commise devant le même juge.
Par conséquent, la portée pratique du principe de l’estoppel est très limitée en ce qu’il convient de caractériser un changement de position en droit d’une partie au cours d’une même procédure.
Si l’arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2017 réaffirme l’existence du principe de l’estoppel, les derniers juges rejettent une fois encore son application concrète de sorte que certains diront que ce principe fuyant ne doit plus être considéré comme un principe procédural mais comme une exception.
Une fois encore le principe de l’estoppel a encore (mal) frappé.
Pierre-Yves Fagot
Maxime Guinot
Lexing Droit de l’entreprise
(1) Cass. Ass. plén., 27-02-2009, n° 07-19.841.
(2) Cass. 1e civ., 3-2-2010, n° 08-21.288.
(3) Cass. com., 20-9-2011, n° 10-22.888.
(4) Cass. 2e civ., 22-6-2017, n° 15-29.202.