La cour d’appel se prononce sur le statut de l’auteur de la musique d’une oeuvre audiovisuelle.
Une société de production a commandé à deux auteurs l’écriture de la musique et des paroles de comptines destinées à illustrer une série télévisée intitulée « Bonjour Babar ».
Les auteurs ont assigné en contrefaçon les trois sociétés qui sont venus aux droits de la première société de production, en raison notamment de l’édition d’une collection de trente-huit DVD intitulée « Les aventures de Babar ».
La cour d’appel les a déclarés irrecevables en leurs prétentions tendant à la défense de leurs droits patrimoniaux d’auteur, faute pour eux d’avoir appelé dans la cause l’ensemble des coauteurs de la série intitulée « Les aventures de Babar » (1). Ils ont formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt pour obtenir son annulation.
L’article L. 113-7 du Code de la propriété intellectuelle institue une présomption selon laquelle une œuvre audiovisuelle est une « « œuvre de collaboration créée par :
1° L’auteur du scénario ;
2° L’auteur de l’adaptation ;
3° L’auteur du texte parlé ;
4° L’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre ;
5° Le réalisateur.
Lorsque l’œuvre audiovisuelle est tirée d’une œuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle ».
La Cour a jugé que les demandeurs à l’action en contrefaçon sont les coauteurs de la série reprise dans la série de vidéogrammes « Les aventures de Babar », et a appliqué la règle selon laquelle « L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord » (2).
Les demandeurs ont fait valoir, au soutien de leur pourvoi en cassation, qu’ils ont créé une œuvre musicale à part entière, dont la protection ne doit pas dépendre des conditions dans lesquelles elle a été diffusée.
Elle a en effet été diffusée dans le cadre d’une série audiovisuelle constituée d’images créées antérieurement à cette musique, ce qui empêche de retenir qu’ils l’ont créée en collaboration avec les auteurs de ces images, et d’une manière plus générale, avec les auteurs de cette série de vidéogrammes.
Il convient de rappeler que l’article L113-7 du Code de la propriété intellectuelle institue une présomption simple qui peut donc être détruite par la preuve contraire, en l’occurrence celle de l’absence de toute collaboration entre les auteurs des comptines et ceux des images d’une série diffusée à la télévision, puis sous la forme de DVD.
La collaboration implique en effet, par définition, l’existence d’une concertation entre les auteurs pour parvenir à l’objectif qu’ils se sont fixé.
A l’inverse, il n’existe aucune collaboration lorsque les auteurs travaillent sous les ordres d’une personne physique ou morale qui a pris l’initiative de les faire intervenir pour effectuer les prestations nécessaires à la création d’une œuvre prédéterminée.
Ce processus de création dit « vertical », pour reprendre la formule du professeur Pierre Yves Gautier, caractérise les œuvres collectives, qui appartiennent non pas aux coauteurs, mais à la personne qui en a dirigé la création et qui la divulgue sous son nom (3).
Il n’y a pas non plus de collaboration lorsqu’une œuvre musicale préexistante est intégrée à une œuvre audiovisuelle ou cinématographique.
Cette œuvre audiovisuelle ou cinématographique est alors une œuvre dite « composite » qui appartient à ses auteurs, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre musicale (4).
En l’espèce, les demandeurs soutenaient que la série « Les aventures de Babar » n’est pas une œuvre de collaboration et que les droits d’auteur qui leur appartiennent sur les comptines devaient être traités différemment de ceux de cette série, dès lors qu’elles ont été associées à des images préexistantes.
Ils en déduisaient qu’ils n’étaient pas tenus d’agir en justice conjointement avec les auteurs de la série « Les aventures de Babar » pour la défense de leurs droits sur ces comptines.
Dans son arrêt du 22 mars 2012, la Cour de cassation a jugé que c’est à bon droit que la Cour d’appel a pu déduire de l’étude des conventions ayant lié les parties que « les comptines avaient été spécialement conçues pour être associées à des images, peu important que celles-ci fussent préexistantes, et constituaient avec elles des œuvres audiovisuelles ».
Elle a donc approuvé la déclaration d’irrecevabilité des demandes formées par les auteurs de ces comptines, « faute pour eux d’avoir appelé dans la cause l’ensemble des coauteurs de l’œuvre audiovisuelle litigieuse » (5).
Les premiers juges ont en effet considéré comme étant déterminant le fait que les musiques en cause « ont été dès l’origine conçues pour être associées à des images pour constituer finalement une œuvre répondant à la définition donnée par l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle, selon laquelle les œuvres audiovisuelles consistent en des séquences animées d’images, sonorisées ou non » .
La personne responsable des programmes jeunesse de France 3 a expliqué la genèse de ces comptines par l’idée de réutiliser les images d’une série préexistante, en l’espèce celles des « Aventures de Babar », pour constituer, après habillage, c’est-à-dire après avoir associé paroles et musiques à ces sélections d’images, des modules éducatifs donnant aux enfants de petits conseils de savoir-vivre sous forme de comptines musicales.
Les contrats de commande conclus avec les auteurs prévoyaient expressément la destination des œuvres commandées (6).
Les premiers juges en ont déduit que « messieurs X… et Y… ont écrit et composé les textes et les musiques des comptines spécialement pour être assemblés avec les images de séries préexistantes et qu’ils sont, à ce titre, coauteurs d’œuvres audiovisuelles ».
La cour de cassation a approuvé cette analyse et les conséquences qui en ont été tirées, sous la forme d’une déclaration d’irrecevabilité des demandes formées par les auteurs de ces comptines, « faute pour eux d’avoir appelé dans la cause l’ensemble des coauteurs de l’œuvre audiovisuelle litigieuse. »
La notion de collaboration prend, avec cette décision, une signification particulière, en ce sens qu’elle ne nécessite pas un travail accompli en concertation par plusieurs auteurs en vue de la création d’une œuvre dont ils ont préalablement défini les caractéristiques.
Il suffit, en effet, que la commande passée aux auteurs ait été orientée vers un but précis, en l’occurrence l’association des paroles et de la musique de comptines à des séquences d’images animées préexistantes, et que la création n’ait donc pas été totalement libre, pour que la présomption d’œuvre de collaboration ne soit pas écartée par la qualification d’œuvre composite.
Il est vrai que l’œuvre musicale aurait dû préexister à ces séquences d’images animées et être incorporée dans leur bande sonore pour que le cas d’espèce corresponde à la définition légale de l’œuvre composite, qui est « l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière. » (7).
Dans ce cas, les auteurs auraient pu exercer librement leurs droits sur leur œuvre musicale, mais ne détiendraient aucun droit d’auteur sur l’œuvre audiovisuelle elle-même.
En l’espèce, les images de la série préexistaient aux comptines et à la série elle-même, puisque cette dernière procède d’un montage de ces images avec la musique et les paroles de ces comptines.
L’essentiel de l’œuvre audiovisuelle résidait, par conséquent, dans ces comptines, et il aurait été tout aussi inéquitable que mal fondé juridiquement de leur dénier tous droits de propriété intellectuelle sur cette série.
La décision tendant à maintenir la présomption d’œuvre de collaboration n’est donc pas critiquable, même si elle peut surprendre en raison de l’absence de collaboration effective entre les auteurs de la série télévisée en question, au sens d’un travail effectué ensemble et en même temps par les différents auteurs ayant contribué à son élaboration.
Il faut en retenir que les auteurs d’œuvres musicales de commande pour l’illustration musicale d’une œuvre audiovisuelle sont coauteurs de cette œuvre audiovisuelle.
Alain Bensoussan Avocats
Lexing Droit des médias
(1) CA Paris 31-3-2010
(2) CPI, art. L113-3
(3) CPI, art. L113-5
(4) CPI, art. L113-4
(5) Cass. 1e civ. 22-3-2012 n° 10-18491
(6) Exemple : « Le présent contrat a pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles M. () confie au compositeur, qui accepte, la composition de la partition originale des comptines, ainsi que sa fixation sur support magnétique DAT prêt à mixer sur le support image. »
(7) CPI, art. L113-2, al. 2