L’électrosensibilité aux ondes électromagnétiques est-elle reconnue par la justice française ? La question se pose suite à deux décisions de justice rendues récemment, et ce au regard des études de l’Anses (1) sur l’exposition du public aux champs électromagnétiques.
Les décisions de justices récentes.
Le 8 juillet 2015, le Tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse a reconnu un taux d’incapacité de 85% à une personne dite électrosensible (2). Ce taux d’incapacité prend en compte une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi.
Le tribunal a accordé à la demanderesse des allocations aux adultes handicapés pour une durée de deux ans.
Cette décision du tribunal a été prise au vu des pièces et rapports soumis à son appréciation.
La demanderesse avait communiqué des conclusions d’un médecin diagnostiquant le syndrome d’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques. Le médecin avait précisé que la description des signes cliniques était irréfutable.
Dans son communiqué du 8 septembre 2015, l’Académie nationale de médecine met en garde contre « une interprétation erronée voir tendancieuse du jugement » (3).
L’Académie rappelle les conditions de prise en charge médicale et sociale des personnes dites électrosensibles. Il faut un lien de causalité entre les troubles évoqués et une exposition aux champs électromagnétiques. L’existence d’un tel lien n’a jamais été scientifiquement prouvée.
- La décision du Tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse a été prise indépendamment :
- de toute argumentation scientifique sur les seuls éléments soumis au tribunal ;
de preuve d’un lien de causalité reconnu entre troubles, handicaps et exposition aux ondes électromagnétiques.
Bien qu’une indemnisation ait été accordée par la justice, l’électrosensibilité n’est pas pour autant reconnue pour autant en droit français.
Plus récemment, une ordonnance de référé a été rendue par le Président du Tribunal d’instance de Grenoble le 17 novembre 2016 (4).
Dans cette ordonnance le Président a demandé le retrait du compteur d’eau situé dans l’appartement de la demanderesse et de celui installé éventuellement dans la chaufferie.
Il a également demandé le remplacement de ces compteurs par des compteurs avec relevé annuel.
En effet, il a reconnu que la demanderesse souffrait d’une électrosensibilité.
La décision de retrait des compteurs communicants ne permet pas de reconnaître en droit l’électrosensibilité.
La spécialité de l’expert désigné.
Le Président du Tribunal d’instance de Grenoble a pris en considération les résultats d’analyse d’un géobiologue. Ceux-ci précisaient que l’appartement de la demanderesse était pollué par les ondes électromagnétiques.
La géobiologie est une discipline qui prétend traiter des relations de l’environnement, des constructions et du mode de vie avec le vivant, de l’ensemble des influences de l’environnement sur le vivant et notamment des ondes liées aux champs magnétiques et électriques.
Le géobiologue n’est donc pas un expert en mesure d’exposition aux ondes électromagnétiques.
Il n’est pas précisé dans quelles conditions le géobiologue a procédé à la mesure des champs électromagnétiques, ni le protocole utilisé pour retenir en conclusion l’existence d’une pollution par ondes électromagnétiques.
Cette analyse n’aurait pas dû permettre le retrait du compteur communicant étant donné qu’elle n’a pas été effectuée par un expert en matière de champs électromagnétiques et que les protocoles de mesures n’étant pas détaillés, les mesures ne peuvent être vérifiées.
L’électrosensibilité non reconnue comme une maladie
L’atteinte à la santé résultant de l’électrosensibilité n’a pas été reconnue et n’est pas inscrite en droit positif, ni même avéré par des études scientifiques.
L’OMS (5) caractérise l’hypersensibilité électromagnétique (HSEM) comme divers symptômes non spécifiques que les individus touchés attribuent à l’exposition aux ondes électromagnétiques et qui diffèrent d’un individu à l’autre (6).
L’OMS précise également qu’il n’existe, ni critères de diagnostiques clairs pour ce problème sanitaire, ni base scientifique permettant de relier les symptômes de la HSEM à une exposition aux ondes électromagnétiques.
Enfin, l’OMS indique que la HSEM ne constitue par un diagnostic médical.
En France, l’électrosensibilité n’est d’ailleurs pas reconnue comme une maladie.
Deux expertises de l‘Anses de 2009 et 2013 ne permettent pas de conclure que l’exposition aux champs électromagnétiques auraient des effets sur la santé.
Selon l’Anses, aucune des études menées jusqu’à présent ne permet de relier ces symptômes à l’exposition aux champs magnétiques (2009) (7).
Le rapport de l’Anses de 2013 analysant le lien entre ondes électromagnétiques et santé humaine a d’ailleurs conclu à l’absence « d’effet sanitaire avéré chez l’homme ». (8)
Qu’en est-il pour les compteurs communicants ?
Le président du Tribunal d’instance de Grenoble dans son ordonnance a retenu que le retrait du compteur communicant est nécessaire pour éviter que l’état de santé de la demanderesse ne s’aggrave.
L’ordonnance ne semble se fonder que sur les éléments communiqués par la demanderesse.
L’ordonnance semble avoir été prononcée en l’absence d’argumentation technique, de références aux études scientifiques actuelles et de démonstration du lien de causalité entre l’exposition aux ondes électromagnétique et l’électrosensibilité.
En effet, le juge considère que l’enlèvement des compteurs d’eau ne résoudra que très partiellement les problèmes de la demanderesse.
Amalgame entre les différentes technologies liées aux compteurs communicants
Dans l’ordonnance, il est précisé sans autre motif technique que les « compteurs Linky, Gazpar ne devront pas être installés dans le domicile de la demanderesse ».
Or, les compteurs communicants n’utilisent pas tous la même technologie.
Les compteurs communicants, pour échanger des informations, mettent en œuvre, soit une transmission radioélectrique, soit un courant porteur en ligne (pour Linky).
Le principe commun à tous les compteurs est de transmettre automatiquement et à distance l’index de consommation (télé-relève).
Les techniques de transmission utilisées sont classiques, (radioélectricité et le courant porteur en ligne), déjà présents à l’intérieur des domiciles.
Plus précisément, le compteur d’électricité Linky utilise le courant porteur en ligne (CPL) pour échanger des données et des ordres avec un concentrateur.
Linky est conçu pour assurer la télé-relève du compteur électrique. Cette fonctionnalité ne nécessite pas un haut débit, le système assure cette fonctionnalité une fois toutes les 24 heures, au cours de la nuit.
Le compteur Gazpar et certains compteurs d’eau utilisent la technologie radio pour transmettre des informations de consommation deux à six fois par jour, en moins d’une seconde.
D’autres compteurs de gaz et d’eau utilisent une communication filaire par les câbles du réseau électrique sans recours à des émetteurs radioélectriques.
Ces différences de technologies présentes dans les compteurs communicants démontrent que ces compteurs ne peuvent être assimiler et donner lieu à une décision de justice commune à l’ensemble des compteurs.
L’électrosensibilité et les compteurs communicants
L’Anses dans son rapport d’expertise de décembre 2016 conclut à des risques sanitaires très peu probables issus des compteurs communicants (9).
L’Anses a retenu que les niveaux d’exposition engendrés par les émissions (intentionnelles pour les compteurs radio eau et gaz, non intentionnelles pour le compteur CPL pour l’électricité) sont très faibles vis-à-vis des valeurs limites réglementaires (10).
Les dispositifs radioélectriques fonctionnent en effet sur pile, avec une longévité représentant un enjeu pour les fournisseurs d’énergie.
L’Anses précise également que la sobriété énergétique des compteurs implique de faibles niveaux d’émission radioélectrique.
Pour l’Anses, il n’existe pas de littérature scientifique traitant spécifiquement des effets sanitaires à court ou long terme de l’exposition aux compteurs communicants.
L’Anses conclut qu’il est peu vraisemblable que ces appareils représentent un risque pour la santé à court ou long terme.
Didier Gazagne
Audrey Jouhanet
Lexing Risques technologiques et Concurrence
(1) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
(2) Décision du Tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse du 8 juillet 2015
(3) Communiqué l’Académie nationale de médecine du 8 septembre 2015
(4) Ordonnance de référé a été rendue par le Tribunal d’instance de Grenoble le 17 novembre 2016
(5) Organisation mondiale de la santé
(6) Publication de l’OMS relative à l’hypersensibilité électromagnétique de décembre 2005
(7) Rapport d’expertise de l’Anses (anciennement Afsset) relatif aux radiofréquences d’octobre 2009
(8) Rapport d’expertise de l’Anses relatif aux radiofréquences et santé d’octobre 2013
(9) Rapport d’expertise de l’Anses relatif à l’exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les « compteurs communicants »
(10) Décret n° 2002-460 du 4 avril 2002 relatif à la protection générale des personnes contre les dangers des rayonnements ionisants