Adoptée par le Parlement, le 13 mai 2009, après bien des avatars, la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi « Hadopi » (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet), vient de subir la censure du Conseil constitutionnel dans plusieurs de ses dispositions phares.
Dans sa décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009, le Conseil affirme, tout d’abord, la constitutionnalité de l’obligation générale de surveillance mise à la charge de tout titulaire d’un accès à internet, qui doit veiller à ce que son accès à internet ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de contrefaçon (article 11 de la loi et premier alinéa du futur article L. 336-3 du Code de la propriété intellectuelle). En revanche, il considère qu’est inconstitutionnel le principe selon lequel le titulaire de l’accès est responsable de tout acte de contrefaçon commis grâce à sa connexion, sauf s’il démontre avoir mis en œuvre l’un des moyens de sécurisation labellisés par l’Hadopi, ou qu’il y a eu une utilisation frauduleuse de sa connexion ou encore qu’il existe un cas de force majeure. Pour le Conseil, ce renversement de la charge de la preuve induit, à l’encontre du titulaire de l’accès à internet, une présomption de culpabilité contraire à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
En outre, le Conseil Constitutionnel considère que la coupure de l’accès à internet, comme sanction des manquements à l’obligation de surveillance, est inconstitutionnelle, en ce qu’elle est prononcée par l’Hadopi. Selon lui, le droit à « la libre communication des pensées et des opinions », reconnu par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, implique la liberté d’accès aux services de communication au public en ligne. De ce fait, seule une juridiction peut se voir reconnaître le pouvoir de restreindre l’exercice de cette liberté.
Le Conseil a, en revanche, validé la disposition permettant aux titulaires de droits de propriété intellectuelle, en présence d’un site contrefaisant, de saisir le tribunal de grande instance (éventuellement en référé) afin de le voir prononcer toute mesure propre à prévenir ou à faire cesser les actes de contrefaçon (article 10 de la loi et futur article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle). Toutefois, cette disposition, non seulement, ne constitue pas une nouveauté, mais pourrait apparaître comme un recul par rapport aux textes existant déjà. En effet, depuis 2004, la loi pour la confiance dans l’économie numérique offre aux titulaires de droits la possibilité de saisir le tribunal pour prévenir ou faire cesser tout dommage occasionné par le contenu d’un site. Mais l’article 6 I de la loi de 2004 va plus loin que la nouvelle loi, puisqu’il autorise l’autorité judiciaire à intervenir dans le cadre d’une procédure non contradictoire (par requête).
Le Conseil constitutionnel valide aussi la disposition (nouvel article L. 335-3 du CPI) selon laquelle la « captation totale ou partielle d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle en salle de spectacle cinématographique » est un acte de contrefaçon. A défaut, un débat aurait en effet pu s’instaurer sur le point de savoir si une telle captation relevait ou non de la copie privée. On peut seulement regretter que la loi n’ait pas étendu sa disposition à d’autres types d’œuvres et lieux de spectacles.
Quoi qu’il en soit, la loi se voit vidée de l’essentiel de son contenu du fait de la censure de ses deux dispositions les plus emblématiques. Elle a, toutefois, été promulguée, pour sa partie non censurée, le 12 juin 2009, le Gouvernement ayant, par ailleurs, annoncé qu’un texte sur les sanctions devrait prochainement être proposé. En l’absence d’un tel texte qui, en vertu du principe de légalité des délits et des peines, est indispensable pour qu’une mesure de coupure d’un accès internet puisse être prononcée, y compris par des juges, à l’encontre d’un internaute qui commet des actes de téléchargement illicites, sans mettre lui-même en ligne des contenus illicites, la loi n’a qu’une portée très limitée.
Décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009