Dans la continuité des conclusions de l’avocat général près la Cour de justice de l’Union européenne appelant à une interprétation stricte de ce que doit être la notion de copie privée (art. L. 122-5, 2e CPI), la CJUE a rendu le 21 octobre 2010 un arrêt historique relatif à la copie privée en Espagne, remettant en question le système de la copie privée en France. La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie par une juridiction espagnole d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation de la notion de « compensation équitable » visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE. Cet article dispose que « Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction (…) b) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non application des mesures techniques visées à l’article 6 aux oeuvres ou objets concernés ». Cette compensation équitable, prévue en droit français par l’article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle, est une contrepartie du droit à la copie privée dont disposent les utilisateurs : « la rémunération (…) est versée par le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires (…) de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports ».
L’application en France comme en Espagne, de la compensation équitable s’opère indifféremment quel que soit l’usage qu’aura l’utilisateur final des supports, à savoir privé ou professionnel, et ce alors même que la copie privée est limitée à « l’usage privé du copiste et non destinée à une utilisation collective », ce qui devrait exclure de facto la possibilité de réaliser des copies privées dans le cadre professionnel. Le justiciable espagnol refusait de verser la redevance pour copie privée au motif que son application à tout matériel sans distinction et indépendamment de la fonction à laquelle il est destiné, est contraire à la directive 2001/29/CE. La Cour a considéré que si, en application de l’article 5, paragraphe 2, b), les états membres qui décident d’instaurer une exception pour copie privée sont tenus de prévoir le versement d’une compensation équitable, cette compensation doit être strictement limitée au préjudice résultant pour l’auteur de la reproduction de son œuvre protégée effectuée à titre privé et sans son autorisation. Dès lors, la compensation doit être calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs en raison de l’exception de copie privée uniquement, et non à raison de la capacité de l’équipement à réaliser des copies. L’application de la redevance à tout équipement indifféremment de l’usage qu’en aura l’utilisateur final est contraire à la directive 2001/29/CE.
La juridiction espagnole ayant saisi la Cour de la question préjudicielle est appelée par la Cour à apprécier la compatibilité du système espagnol de redevance pour copie privée avec la directive, ce qui n’est autre qu’un appel pour le législateur à réviser les dispositions législatives. La France devrait être amenée à s’interroger dans les mêmes conditions et réfléchir à la mise en place d’un régime différencié entre professionnels et particuliers.
Cet arrêt intervient au moment où les sénateurs proposent d’étendre le paiement de la redevance pour copie privée à tous les récepteurs de contenus (ordinateurs, smartphones, etc) dans le cadre de l’examen du projet de budget pour 2011. Peut-être l’occasion de mettre en place un chantier plus vaste sur la question..