La CEDH s’est récemment prononcée sur une affaire opposant la liberté d’expression d’un salarié publiant des articles sur internet et la protection des intérêts commerciaux d’une société.
Mise en balance du droit à la liberté d’expression d’un salarié…
En l’occurrence, un salarié d’une banque hongroise avait été licencié au motif qu’il publiait des articles en ligne sur des questions relevant des ressources humaines, et qu’il aurait ainsi nui aux intérêts financiers de la banque et violé les règles de confidentialité (1). L’employé a contesté son licenciement devant les juridictions nationales mais ses demandes furent déboutées, au motif que le contenu du site internet litigieux, ne concernant pas des questions d’intérêt public, n’était pas protégé par la liberté d’expression et que son comportement présentait dès lors un risque pour les intérêts commerciaux de son employeur.
Le salarié a alors saisi la CEDH pour violation de son droit à la liberté d’expression, faisant valoir que les articles rédigés étaient consacrés à des questions d’intérêts professionnel et public car ils portaient sur la modification des règles sur l’impôt et le revenu, et qu’ils étaient sans lien direct avec son employeur.
…et du droit à la protection des intérêts commerciaux de l’employeur
La CEDH souligne qu’il lui appartient de chercher si les tribunaux se sont livrés à la mise en balance nécessaire du droit à la liberté d’expression du requérant dans un contexte professionnel à la lumière des intérêts commerciaux de l’employeur. Elle met en exergue une grille d’analyse, composée de quatre éléments, pouvant être pris en compte lors d’une restriction de la liberté d’expression dans un cadre professionnel :
- la nature des propos ;
- l’intention de l’auteur ;
- tout préjudice qui pourrait en résulter ;
- la gravité de la sanction.
La Cour, reprenant ces quatre éléments, estime que les propos litigieux qui visaient un public professionnel, étaient de nature à être protégés car ils présentaient les caractéristiques d’une discussion sur des questions d’intérêt public, et qu’ils se rapportaient à une profession et visaient le partage des connaissances.
Concernant le troisième point, elle soutient que les tribunaux internes se sont uniquement concentrés sur la question du préjudice potentiel pour les intérêts de la banque, sans démontrer en quoi les propos ont pu réellement porter préjudice. Enfin, elle note qu’une mesure moins lourde que le licenciement n’avait pas été envisagée.
La CEDH a dans cette affaire eu l’occasion de rappeler l’importance de la mise en balance d’intérêts contraires, devant tenir compte de la contribution de propos litigieux à un débat d’intérêt général. Ainsi, si la liberté d’expression d’un salarié peut faire l’objet de restrictions, la mise en balance des intérêts doit être effectuée à la lumière des quatre critères auxquels la Cour fait référence.
Virginie Bensoussan-Brulé
Chloé Perruchot
Lexing Contentieux du numérique
(1) CEDH 05-11-2019 Herbai c. Hongrie, n°11608/15.