Le 11 décembre 2019, la Cour de cassation a rendu un arrêt dans lequel elle juge qu’une société diffusant de la musique sous licence Creative Commons dans ses magasins doit verser une rémunération équitable.
Nécessité d’une rémunération équitable
La société Musicmatic France (devenue Storever France) a mis à la disposition de la société Tapis Saint-Maclou des appareils « Players MM BOX » diffusant de la musique mise en ligne sous licence Creative Commons sur la plateforme Jamendo.
La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) a agi pour le compte de la Société pour la perception de la rémunération équitable (SPRE) afin de réclamer les sommes qui correspondent au paiement de la rémunération équitable, telle que prévue par l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle. La société Tapis Saint-Maclou a alors assigné Storever France en garantie ainsi qu’en résiliation de contrat. La SPRE, appelée en la cause, en a profité pour former une demande reconventionnelle en paiement.
Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 avril 2018, la société Tapis Saint-Maclou a été condamnée à verser la somme de 117.826,82 euros à la SPRE, au titre de la rémunération équitable. C’est ainsi que les sociétés Storever France, Tapis Saint-Maclou, ainsi que Audiovalley et Jamendo, intervenues volontairement à l’instance, ont formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi par arrêt du 11 décembre 2019, considérant que la diffusion de musiques sous licence Creative Commons doit en l’espèce être soumise au paiement de la rémunération équitable, dans la mesure où tous les critères de l’article L. 214-1 sont remplis.
En effet, « Lorsqu’un phonogramme a été publié à des fins de commerce », ceci ouvre « droit à rémunération au profit des artistes-interprètes et des producteurs ». Contrairement à ce que soutient la société Saint Maclou, la Cour de cassation affirme que :
- les musiques ont bien été diffusées dans le cadre d’une exploitation commerciale, dans la mesure où les artistes publiant leur musique sur la plateforme Jamendo pouvaient participer à un programme commercial nommé « In-Store » lorsqu’ils choisissaient la licence Creative Commons correspondante ;
- et que les musiques bien ont été communiquées de façon directe dans un lieu public, puisqu’elles ont été transmises auprès d’un nombre indéterminé de destinataires potentiels par la société Saint-Maclou ;
Ainsi, l’article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle doit être appliqué, et la Société Saint-Maclou doit procéder au paiement de la rémunération équitable, alors même que les musiques sont mises en ligne sous licence Creative Commons.
Rappel de l’objectif de la rémunération équitable
La rémunération équitable est la contrepartie de la licence légale, prévue par l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle.
La licence légale permet certaines exploitations d’un phonogramme publiés à des fins de commerces, sans avoir au préalable à obtenir l’autorisation de l’artiste-interprète ou du producteur. La contrepartie de cette absence d’autorisation réside alors dans le paiement d’une rémunération équitable, répartie par moitié entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogramme. La SPRE est l’organisme de gestion collective chargée de collecter la rémunération équitable.
L’article 13 de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (1) a en outre étendu le principe de la licence légale aux webradios dites linéaires (2).
La particularité des licences Creative Commons
Les licences Creative Commons regroupent différentes licences dites libres. Ces licences ont la particularité d’être ouvertes à tous, mais ne permettent pas pour autant n’importe quelle utilisation. Par exemple, certaines licences Creatives Commons permettent une utilisation commerciale, et d’autres non. Il est également important de préciser que, contrairement à la confusion qui peut être induite par le terme « free », signifiant à la fois « libre » et « gratuit », ces licences libres ne sont pas forcément gratuites.
L’arrêt du 11 décembre 2019 rappelle ainsi qu’une licence libre, type Creative Commons, n’exclut pas l’application du Code de la propriété intellectuelle et le paiement de la rémunération équitable.
Marie Soulez
Clara Zlotykamien
Lexing Propriété intellectuelle contentieux
(1) Loi 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine
(2) Un service linéaire permet l’accès simultané à des programmes préétablis, au contraire d’un service non-linéaire permettant l’accès à des contenus à la demande.