Un moteur de recherche proposait, sur la page d’accueil de son site, un lien hypertexte affichant le nom d’une marque notoire, qui dirigeait les internautes vers une page de résultats comportant des liens commerciaux trompeurs vers des sites proposant des services concurrents de ceux du titulaire de cette marque.
Des liens commerciaux trompeurs
Ces liens commerciaux trompeurs reproduisaient eux-mêmes la marque notoire ou d’autres marques notoires de son titulaire, comme s’ils étaient diffusés par celui-ci, ce qui pouvait induire les internautes en erreur. Dans la page de résultats, les annonces trompeuses apparaissaient généralement avant les liens authentiques.
Le titulaire des marques a fait constater ces faits, puis obtenu, par ordonnance sur requête, l‘identification de l’éditeur du site et assigné celui-ci devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Dans son jugement, le Tribunal a considéré que la reproduction des marques du titulaire pour afficher des liens commerciaux vers des sites exploités par des concurrents portait atteinte à ces marques notoires(1).
Il a condamné l’éditeur du site à payer au titulaire des marques 150 000 € de dommages et intérêts au titre de l’atteinte aux marques et 10 000 € pour publicité trompeuse.
Publicité trompeuse, contrefaçon de marque et détournement de clientèle
Saisie de ce jugement, la Cour d’appel de Paris relève que l’éditeur du moteur de recherche a volontairement tiré profit des investissements engagés par le titulaire des marques pour développer leur notoriété, en vue de réaliser des profits en abusant les consommateurs, ce qui l’amène à confirmer la décision sur l’atteinte aux marques et la publicité trompeuse (2).
Rappelant les dispositions applicables à la réparation des préjudices en matière de contrefaçon de marques (3), la décision indique que le préjudice causé par le détournement de clientèle et celui résultant des bénéfices réalisés par le contrefacteur doivent être évalués à 250.000 €. Elle retient également un préjudice moral de 100 000 € et un préjudice de 10 000 € pour publicité trompeuse.
L’arrêt retient donc, à titre de préjudice causé par la contrefaçon, un manque à gagner (détournement de clientèle), les bénéfices réalisés par le contrefacteur, ces deux postes étant évalués à une somme globale de 250 000 € (sans précision sur le détail de ce chiffrage), ainsi qu’un préjudice moral.
Or, les bénéfices du contrefacteur ne peuvent, en principe, constituer un préjudice en tant que tel à ajouter au manque à gagner de la victime : si la contrefaçon a fait perdre 1000 € à la victime et gagner 1000 € au contrefacteur, le préjudice de la victime est de 1000 € et non pas de 2000 €.La cour d’appel de Colmar a retenu cette position dans une décision récente (4).
Il peut être utile de chiffrer les bénéfices du contrefacteur pour apprécier le manque à gagner subi, lorsque son évaluation pose des difficultés, mais l’addition de ces deux montants pour chiffrer le préjudice ne serait pas conforme au principe de la réparation intégrale, selon lequel la réparation se fait sans perte ni profit pour la victime.
Cette décision semble donc s’inscrire dans une tendance actuelle à méconnaître ce principe en matière de contrefaçon, comme dans la Proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon, actuellement débattue au sénat (5).
(1) TGI Paris, 11 juin 2010, SNCF c. Eorezo.
(2) CA Paris Pôle 5 Ch. 2, 28-10-2011
(3) CPI, art. L716-14
(4) CA Colmar, 20-9-2011, MBI c. Prodis
(5) JTIT n°115/2011