La faculté pour le juge de délivrer une injonction judiciaire de rencontrer un médiateur aux parties introduite par le décret du 25 février 2022.
Fondements juridiques et objectifs
L'injonction judiciaire de rencontrer un médiateur depuis février 2022
La médiation a été introduite dans le droit français par la loi n° 95-125 du 8 février 1995, qui a consacré six articles (21 à 26) à cette pratique. Depuis lors, plusieurs réformes ont renforcé ce dispositif :
- • l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 : transposition de la directive 2008/52/CE sur la médiation civile et commerciale ;
- • la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : modernisation de la justice du XXIe siècle ;
- • la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 : programmation 2018-2022 et réforme pour la justice ;
- • la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 : instauration d’un Conseil national de la médiation et simplification de la saisine du médiateur ;
- • le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions.
Depuis la loi du 8 février 1995, le juge pouvait désigner un médiateur après avoir recueilli l’accord des parties (1). Cette faculté est consacrée à l’article 131-1 du Code de procédure civile. Toutefois, jusqu’alors rien n’était prévu pour encourager les parties à avoir recours à ce mode de règlement des différends dans le cas où celles-ci n’en ont pas exprimé la volonté.
Le décret du 25 février 2022, consacrant l’apport de la loi du 23 mars 2019 (2), a introduit la possibilité pour le juge de prononcer une injonction judiciaire de rencontrer un médiateur sans avoir recueilli l’accord préalable des parties. Le nouvel article 127-1 du Code de procédure civile dispose ainsi que :
« A défaut d’avoir recueilli l’accord des parties prévu à l’article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu’il détermine, un médiateur chargé de les informer de l’objet et du déroulement d’une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d’administration judiciaire. »
Cette injonction judiciaire de rencontrer un médiateur vise à promouvoir la médiation comme une alternative efficace aux procédures contentieuses. Lors des débats parlementaires, la garde des sceaux de l’époque a rappelé que « l’objectif poursuivi par le Gouvernement est le développement des modes alternatifs de règlement des différends pour favoriser l’émergence d’une solution qui ne soit pas nécessairement contentieuse, et ce à tous les stades de la procédure, un accord entre les parties étant susceptible d’intervenir » (3).
Médiation conventionnelle et médiation judiciaire
L'injonction judiciaire de rencontrer un médiateur depuis février 2022
La médiation, en tant que méthode alternative de résolution des conflits, se divise en deux formes principales : la médiation conventionnelle et la médiation judiciaire. Chacune de ces formes présente des spécificités distinctes.
La médiation conventionnelle repose sur la volonté des parties de résoudre leur différend de manière amiable sans recourir à la justice. Elle est encadrée par les articles 1530 à 1535 du Code de procédure civile et se déroule entièrement selon les modalités définies par les parties.
À l’inverse, la médiation judiciaire est initiée par une décision du juge, souvent lorsqu’il estime qu’une tentative de résolution amiable est opportune. Cette médiation est régie par les articles 127-1 et 131-1 et suivants du Code de procédure civile et implique une supervision judiciaire plus stricte, notamment par la désignation d’un médiateur par le tribunal.
Modalités de mise en œuvre
L'injonction judiciaire de rencontrer un médiateur depuis février 2022
L’injonction judiciaire de rencontrer un médiateur est notifiée aux parties, qui sont alors convoquées à une première réunion d’information. Cette réunion, gratuite et obligatoire, peut être organisée par visioconférence et constitue une étape essentielle du processus de médiation. Son objectif principal est de sensibiliser les parties à la médiation en leur présentant ses principes fondamentaux, ses avantages et ses modalités pratiques.
La réunion d’information permet de détailler les concepts de neutralité, de confidentialité et d’impartialité, éléments essentiels de la médiation. Elle vise à garantir que les parties comprennent que la médiation est un processus volontaire, où elles peuvent s’exprimer librement et où le médiateur facilite le dialogue sans imposer de solutions.
La présence des avocats est vivement recommandée lors de cette séance, car ils peuvent offrir un soutien juridique et stratégique précieux à leurs clients, tout en aidant à clarifier les questions juridiques qui pourraient surgir.
Durant cette réunion, le médiateur explique le déroulement de la médiation et les implications de chaque choix possible pour les parties. Les avocats peuvent également intervenir pour poser des questions et clarifier des points spécifiques, assurant ainsi que leurs clients sont bien informés des enjeux et des avantages potentiels de la médiation.
Opportunité pour les parties d’avoir recours à la médiation
L'injonction judiciaire de rencontrer un médiateur depuis février 2022
Après la réunion d’information, les parties disposent de trois options pour la suite de leur procédure.
Elles peuvent tout d’abord s’engager dans une procédure de médiation conventionnelle. Si les parties choisissent cette option, le médiateur peut immédiatement commencer sa mission. La médiation conventionnelle est flexible et permet aux parties de contrôler le processus, en se concentrant sur des solutions mutuellement bénéfiques. Cette voie offre un cadre informel pour discuter et résoudre les différends sans l’intervention directe du tribunal. L’objectif est de parvenir à un accord amiable rapidement, ce qui peut éviter des coûts et des délais supplémentaires liés à une procédure judiciaire prolongée.
Elles peuvent également s’engager dans une procédure de médiation judiciaire. Dans ce cas, le juge saisi de l’affaire ordonnera la médiation lors de la première audience. Conformément à l’article 131-6 du Code de procédure civile, la décision du juge désigne le médiateur, fixe la durée initiale de sa mission (ne pouvant excéder trois mois, renouvelable une fois) et détermine la date de rappel de l’affaire à l’audience. Les parties sont tenues de verser une provision directement au médiateur. Si la provision n’est pas versée intégralement dans le délai prescrit par le juge, la décision devient caduque et l’instance judiciaire se poursuit. Cette option encadre la médiation dans un cadre plus formel, sous la supervision du juge, garantissant ainsi un processus structuré.
Elles peuvent enfin reprendre la procédure contentieuse. Si les parties ne souhaitent pas s’engager dans une médiation, elles peuvent reprendre la procédure contentieuse. Dans ce scénario, le litige continue selon les voies judiciaires habituelles.
Les parties peuvent également opter pour des négociations directes sans entamer formellement une médiation. En cas d’accord, elles peuvent solliciter l’homologation de leur accord par le juge ou demander la constatation de leur désistement d’instance. Cette option permet aux parties de bénéficier d’une certaine autonomie dans la gestion de leur litige, tout en conservant la possibilité d’un règlement amiable hors médiation.
Attention, ces procédures de médiation ne doivent pas être confondues avec celle de la conciliation, qui obéit à un autre régime (notamment les articles 860-2 et suivants du Code de procédure civile pour le Tribunal de commerce, et 129-2 et suivants du même code applicable à toutes les procédures à défaut de disposition spécifiques).
Renforcement des modes alternatifs de résolution des conflits
L'injonction judiciaire de rencontrer un médiateur depuis février 2022
L’injonction judiciaire de rencontrer un médiateur permet de réduire la durée des procédures contentieuses en favorisant des résolutions amiables rapides. En diminuant le nombre de litiges nécessitant une décision judiciaire, cette mesure contribue à désengorger les tribunaux, libérant ainsi des ressources pour d’autres affaires plus complexes ou urgentes. Les délais de traitement des dossiers sont ainsi raccourcis, ce qui améliore l’efficacité globale du système judiciaire.
Une médiation réussie peut conduire à un accord amiable en quelques semaines ou mois, contre plusieurs années pour une décision judiciaire définitive après appel. Cette réduction des délais profite non seulement aux parties en litige mais aussi au système judiciaire, qui peut traiter les affaires plus rapidement.
En incitant les parties à explorer la médiation, l’article 127-1 renforce l’importance des modes alternatifs de résolution des conflits. Les avocats jouent un rôle clé en sensibilisant leurs clients aux avantages de la médiation, favorisant ainsi une culture de l’amiable dans le règlement des différends.
Les modes alternatifs, tels que la médiation, la conciliation et l’arbitrage, deviennent ainsi des options privilégiées, ce qui contribue à une justice plus humaine et accessible.
L’indifférence de l’injonction judiciaire de rencontrer un médiateur sur les délais procéduraux
L'injonction judiciaire de rencontrer un médiateur depuis février 2022
La question de l’impact de l’injonction judiciaire de rencontrer un médiateur sur les délais procéduraux se posent principalement au stade de l’appel. En effet, le délai d’un mois accordé à l’appelant pour interjeter appel ou de trois mois (4) pour conclure peuvent-ils être suspendus par cette mesure d’administration judiciaire ?
Selon l’ancien article 910-2 du Code de procédure civile, abrogé par le décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure civile « la décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l’article 131-1 interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L’interruption produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur ».
Le même décret a introduit dans le Code de procédure civile un nouvel article 915-3, applicable aux instances introduites à compter du 1er septembre 2024, qui dispose que :
• « Les délais impartis pour conclure et former appel incident ou provoqué mentionnés aux articles 906-2 et 908 à 910 sont interrompus :
1° Par la décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l’article 131-1. L’interruption produit ses effets, selon le cas, jusqu’à expiration du délai imparti aux parties pour rencontrer un médiateur ou achèvement de la mission du médiateur ».
Conformément à la position constante de la jurisprudence avant l’entrée en vigueur de l’article 127-1 (5), un avis du juge de recourir à une médiation n’est pas « une ordonnance de médiation signée par le conseiller de la mise en état, après accord des parties pour s’orienter vers la voie de la médiation, qui seule suspend les délais procéduraux ». Ainsi seule l’ordonnance de médiation désignant le médiateur est de nature à suspendre les délais.
Ainsi, les décisions de convoquer les parties à une réunion d’information, et donc l’injonction judiciaire de rencontrer un médiateur, ne suspendent pas ces délais. L’absence de prise en compte de cet élément procédural par les parties et leurs avocats pourrait donc entraîner la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité à conclure.
La Cour de cassation (6) a confirmé dans cette affaire que seule l’ordonnance désignant un médiateur peut interrompre les délais pour conclure. Les échanges informels que les parties entretiennent consécutivement à la fin de la médiation ne sont pas de nature à interrompre les délais non plus.
Le juge peut décider d’interrompre la mission de médiation à tout moment. Pour se faire, il doit préalablement convoquer les parties à une audience. S’il le fait, les délais recommencent à courir à compter de cette audience.
Obstacles et limitations
L'injonction judiciaire de rencontrer un médiateur depuis février 2022
Cependant, plusieurs obstacles peuvent limiter l’efficacité de cette injonction judiciaire de rencontrer un médiateur. La disponibilité et la formation des médiateurs, la réticence des parties à s’engager dans un processus de médiation et les coûts associés sont autant de défis à surmonter. Une sensibilisation accrue et une formation continue des professionnels du droit sont nécessaires pour maximiser les avantages de cette réforme.
- De plus, les sanctions associées à la réticence d’une partie à se présenter à la première réunion d’information sont faibles et peu contraignantes. En effet, ce comportement :
- • peut être associé à un défaut de diligence pouvant entraîner la radiation de l’affaire ;
- • peut être pris en compte comme critère de l’équité pour statuer sur les demandes faites au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Conclusion
L'injonction judiciaire de rencontrer un médiateur depuis février 2022
L’injonction judiciaire de rencontrer un médiateur joue un rôle crucial dans la promotion de la médiation en France. Elle améliore l’efficacité judiciaire, renforce les modes alternatifs de résolution des conflits, réduit les délais de la procédure civile, et a montré des résultats positifs dans la pratique.
L’avenir de la médiation en France dépendra de l’engagement continu des acteurs judiciaires et de la mise en œuvre de réformes pour surmonter les obstacles actuels. La formation des professionnels du droit et la sensibilisation du public à l’importance de la médiation seront essentielles pour consolider cette évolution.
Nos avocats peuvent vous accompagner, n’hésitez pas à nous contacter : paris@lexing.law
Notes de bas de page :
Article 22-1 de la loi n°95-125, modifié par l’article 3 loi n°2019-222 du 23 mars 2019 : « En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible, le juge peut, s’il n’a pas recueilli l’accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qu’il désigne et qui répond aux conditions prévues par décret en Conseil d’État. Celui-ci informe les parties sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation ».
- Compte-rendu intégral des débats en séance publique au Sénat du 12 février 2019, p. 1445 (dossier législatif).
- Délai de trois mois à compter la déclaration d’appel pour l’appelant, et de trois mois pour l’intimé à compter –de la notification des conclusions de l’intimé (article 909 du Code de procédure civile).
- CA Versailles, 04-10-2018, n°18/02825.
- Cass 2e civ, 20-05-2021, n°20-13.912.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Avocate, Directrice du département Contentieux et expertises informatiques
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Avocate, Directrice du département Contentieux et expertises informatiques
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