L’obligation de notification à la Commission ne s’applique pas aux lois portant sur le service fourni par Uber.
Le 1er octobre 2014, la loi Thévenoud a été promulguée. Cette loi a inséré dans le Code des transports une disposition incriminant la mise en relation de personnes et de chauffeurs particuliers, mettant un terme au service UberPop en France.
Néanmoins, avant de mettre un terme définitif à son service, Uber France a continué l’exploitation du service UberPop pendant quelques mois. A ce titre, Uber France a été poursuivie devant le Tribunal de grande instance de Lille pour, notamment, « des faits d’organisation illégale d’un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent au transport routier de personnes à titre onéreux avec des véhicules de moins de dix places ».
Concernant le chef d’organisation illégale d’un système de mise en relation de clients avec des conducteurs non professionnels, incriminé au titre de l’article L. 3124-13 du Code des transports, le Tribunal de grande instance de Lille a été confronté à un doute quant à la qualification de cette disposition au regard des directives 98/34/CE et 2006/123/CE. Le Tribunal de grande instance de Lille a donc décidé de surseoir à statuer et a posé à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle sur l’interprétation de ces directives.
La question posée à la Cour de justice de l’Union européenne était de savoir si le service fourni par Uber, et plus spécifiquement UberPop, est un service de la société de l’information ou un service dans le domaine des transports.
La Cour de justice de l’Union européenne répond à cette question dans l’arrêt C-320/16 du 10 avril 2018 en qualifiant le service UberPop, qui consiste à fournir un service d’intermédiation au moyen d’une application pour téléphone intelligent, de service dans le domaine des transports.
En conséquence, les directives : 98/34/CE du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, modifiée par la directive 98/48/CE du 20 juillet 1998, et 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, ne sont pas applicables. Ainsi, les nouvelles dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à un tel service n’ont pas être notifiées à la Commission européenne.
La procédure de notification à la Commission
Deux textes sont visés par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 avril 2018.
La directive 98/34/CE
Le premier texte est la directive 98/34/CE du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, modifiée par la directive 98/48/CE du 20 juillet 1998.
Cette directive a été abrogée le 6 octobre 2015 et a été remplacée par la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, directive qui est sensiblement identique à la première, ce qui implique que la solution de la Cour de justice de l’Union européenne peut être reprise en ce qui concerne la dernière directive.
Néanmoins, dans la mesure où la disposition légale en cause, à savoir l’article L.3124-13 du Code des transports, a été créée par une loi du 1er octobre 2014 et abrogé en 2016, la directive du 22 juin 1998 était encore applicable et les juges doivent répondre à la question préjudicielle en s’appuyant sur la législation européenne en vigueur à la date d’adoption du texte.
Cette directive prévoyait que les Etats membres devaient communiquer immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agissait d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit.
Cette communication devait s’accompagner d’une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.
Suite à cette communication, la Commission européenne devait porter le projet à la connaissance des autres Etats membres et l’Etat membre à l’origine du texte reporter le délai d’adoption du texte, délai qui pouvait aller de 3 à 6 mois en fonction de l’objet du texte. La Commission européenne et le Etats membres, en vertu de la directive, pouvaient ensuite formuler des observations sur le projet dont l’Etat membre devait tenir compte.
La directive 2006/123/CE
En ce qui concerne la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, le paragraphe 7 de l’article 15 de cette directive prévoit une procédure de notification à la Commission européenne de toute nouvelle disposition législative, réglementaire ou administrative qui prévoit des exigences visées au paragraphe 6 de la directive 2006/123/CE ainsi que les raisons qui se rapportent à ces exigences.
Comme pour la procédure prévue par la directive 98/34/CE, les dispositions doivent être communiquées aux autres Etats membres. Cependant, la notification à la Commission européenne n’empêche pas l’Etat membre d’adopter les dispositions en question.
Ensuite, dans un délai de trois mois à compter de la réception de la notification, la Commission examine la compatibilité de ces nouvelles dispositions avec le droit communautaire et, le cas échéant, adopte une décision pour demander à l’Etat membre concerné de s’abstenir de les adopter, ou de les supprimer.
Il faut également préciser que d’après l’article 15 de la directive 2006/123/CE, la notification à la Commission européenne d’un projet de loi nationale conformément à la directive 98/34/CE vaut respect de l’obligation de notification à la Commission prévue par cet article.
Ainsi, si les dispositions de l’article L.3124-13 du Code des transports sont dans le champ d’application de ces directives, la France devait accomplir ces procédures et faute de l’avoir fait aurait violé le droit européen. Mais qu’elles sont précisément les dispositions en cause ?
L’article L.3124-13 du Code des transports
L’article L.3124-13 du Code des transports sanctionnait « le fait d’organiser un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent [à des prestations de transport routier de personnes effectuées à titre onéreux avec des véhicules de moins de dix places, à l’exclusion des transports publics collectifs] sans être ni des entreprises de transport routier (…), ni des taxis, des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des voitures de transport avec chauffeur ».
Cet article a été créé par la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, dite loi Thévenoud. Il visait directement le service UberPop, qui permettait à des particuliers de réaliser des prestations de transport de personnes, et qui n’exerçaient pas leur activité en tant que professionnels fournissant un véhicule de tourisme avec chauffeur (VTC).
La conséquence de cette loi a donc été l’arrêt du service UberPop en juillet 2015. Cet article a été par la suite abrogé par l’article 13 de la loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes pour être remplacé par l’article L.3143-4 du Code des transports.
Néanmoins, ce texte constitue-t-il une règle technique au sens de la directive 98/34/CE du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, modifiée par la directive 98/48/CE du 20 juillet 1998 ?
Selon ce texte, une règle technique est, notamment, « les dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services ».
Dans la mesure où l’article L.3124-13 du Code de tourisme interdit aux particuliers de s’établir comme prestataires de service de transport de personnes, il s’agit d’une règle technique au sens de cette directive.
Enfin, pour ce qui est de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, l’article L.3124-13 du Code des transports constitue-t-il une exigence visée par le paragraphe 6 de l’article 15 de cette directive ? L’article L.3124-13 du Code du tourisme, en prohibant la mise en relation de personnes et de chauffeurs qui ne sont « ni des entreprises de transport routier (…), ni des taxis, des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des voitures de transport avec chauffeur », impose au prestataire d’être constitué sous une forme juridique particulière, exigence visée par le paragraphe 2, b) de l’article 15 de la directive 2006/123/CE.
Ainsi, a priori, la France devait respecter la procédure établie par les directives 98/34/CE et 2006/123/CE. Toutefois, encore faut-il que ces textes régissent l’activité exercée par Uber.
La qualification d’Uber : un service dans le domaine des transports
La confirmation de l’arrêt du 20 décembre 2017
Les procédures prévues par les directives 98/34/CE et 2006/123/CE ne sont applicables seulement si l’activité d’UberPop est soit un service de la société de l’information soit un service régi par la directive 2006/123/CE.
La question de la qualification du service d’intermédiation réalisé par Uber a déjà fait l’objet d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne le 20 décembre 2017 (1). Dans cet arrêt, la Cour de justice a indiqué que le service d’intermédiation proposé par Uber « qui a pour objet, au moyen d’une application pour téléphone intelligent, de mettre en relation, contre rémunération, des chauffeurs non professionnels utilisant leur propre véhicule avec des personnes qui souhaitent effectuer un déplacement urbain, doit être considéré comme étant indissociablement lié à un service de transport et comme relevant, dès lors, de la qualification de « service dans le domaine des transports », au sens de l’article 58, paragraphe 1, TFUE » (2).
La Cour de justice, dans l’arrêt du 10 avril 2018, fonde son analyse sur l’arrêt précité du 20 décembre 2017 et indique que « cette conclusion vaut, pour les mêmes raisons, s’agissant du service d’intermédiation en cause au principal, dès lors qu’il ressort des informations dont dispose la Cour que ce service ne se distingue pas substantiellement de celui qui est décrit au point 21 du présent arrêt » (pt.24).
Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne confirme sa jurisprudence du 20 décembre 2017 en ce qui concerne la qualification du service fourni par Uber. Il s’agit d’un service dans le domaine des transports, et non pas d’un service de la société de l’information.
L’exclusion de l’application des directives 98/34/CE et 2006/123/CE
Puisqu’il s’agit d’un service dans le domaine des transports, et non pas d’un service de la société de l’information, l’article L.3124-13 du Code des transports, selon la Cour de justice de l’Union européenne, « ne saurait être qualifié de règle relative aux services de la société de l’information, au sens de l’article 1er de la directive 98/34, et n’est donc pas soumis à l’obligation de notification à la Commission prévue à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive » (pt.26).
En ce qui concerne l’application de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, le paragraphe 2, d) de l’article 2 de cette directive indique que celle-ci ne s’applique pas aux services dans le domaine des transports. Il en découle alors qu’une « réglementation telle que celle en cause au principal [l’article L.3124-13 du Code des transports], invoquée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre la société fournissant ledit service d’intermédiation, ne saurait relever de la directive 2006/123 » (pt.25).
Ainsi, le service d’intermédiation fourni par Uber étant un service dans le domaine des transports, les directives 98/34/CE et 2006/123/CE ne sont pas applicables et la France n’avait pas à notifier le projet de loi à la Commission européenne.
Cet arrêt confirmant la jurisprudence du 20 décembre 2017 réaffirme donc la liberté des Etats membres d’adopter des dispositions relatives aux services fournis par Uber, en raison de la qualification de son activité de service dans le domaine des transports.
Virginie Bensoussan-Brulé
Baptiste Martinez
Lexing Contentieux numérique
(1) Virginie Bensoussan-Brulé et Baptiste Martinez, « Uber : qualification de service dans le domaine des transports » RLDI-5156 n° 145 de février 2018 p.17-21.
(2) CJUE, 20-12-2017, Aff. C-434/15.