La création récente et inédite d’œuvres par des algorithmes soulève de nombreuses questions en droit d’auteur.
Alors que la musique composée par des programmes d’intelligence artificielle connaît ses premiers succès populaires, c’est désormais au tour du cinéma de faire appel aux techniques de machine learning.
Le machine learning, auteur compositeur
A l’automne 2016, Sony diffusait en ligne deux titres largement écoutés, composés par son programme de machine learning baptisé Flow Machines. Le premier, « Daddy’s Car » (1), s’inspire directement du répertoire des Beatles, tandis que le second, « The Ballad of Mr Shadow » (2), est issu de l’étude des styles propres à Irvin Berlin, Duke Ellington, George Gershwin et Cole Porter (3).
Si plusieurs programmes informatiques étaient déjà parvenus à générer une création musicale originale (4), notamment au travers des travaux de David Cope (5) ou encore du TensorFlow de Google (6), c’est véritablement la première fois que des algorithmes d’intelligence artificielle parviennent à composer des œuvres aussi abouties.
Cette réussite s’explique tant par la performance des systèmes machine et deep learning développés aujourd’hui (7) que par les quantités considérables de données transmises à ces machines pour fournir un résultat optimal. C’est effectivement grâce à l’analyse d’un catalogue aussi vaste que celui des Beatles, et plus précisément de l’étude minutieuse des partitions, de l’orchestration et de la production de l’ensemble de leurs œuvres, qu’un modèle de machine learning a pu restituer une mélodie originale en tout point semblable à leur univers musical.
Le machine learning, réalisateur d’une oeuvre cinématographique
Désormais, les prouesses artistiques du machine learning ne se cantonnent plus à la musique, et c’est l’actrice américaine Kristen Stewart qui assure la publicité de l’utilisation de cette technologie au cinéma. A l’occasion de la présentation de son premier court métrage au festival de Sundance (8), cette dernière a en effet coécrit un article scientifique sur le recours au machine learning au sein de son film « Come Swim » (9).
Elle y explique comment le machine learning a permis la création d’une œuvre originale, via le transfert d’un extrait cinématographique au sein d’une représentation picturale. La création finale a emprunté les mouvements et traits du film originaire, tout en ayant intégré l’atmosphère et les couleurs d’une œuvre figée. « Come swim » apparait de la sorte comme une œuvre composite (10), coréalisée par Kristen Stewart et un système de machine learning, reprenant le scénario d’un premier film, et dont la photographie au sens cinématographique est tirée d’une œuvre plastique.
Si dans la présente espèce, l’algorithme machine learning ne s’est appuyé que sur deux créations émanant du même auteur, également à l’initiative du programme, des difficultés importantes pourraient advenir dans les hypothèses d’une utilisation par la machine d’un nombre plus important d’œuvres issus d’auteurs différents. En pareille circonstance, et selon l’exploitation faite de ces œuvres par l’algorithme, il importera en amont de solliciter l’accord des différents auteurs, et ce conformément au régime juridique des œuvres dérivées (11).
Quelle protection accorder aux œuvres machine learning ?
Si ces œuvres restent aujourd’hui anecdotiques, car peu nombreuses et ne découlant pas toujours exclusivement de programmes d’intelligence artificielle, les questions soulevées par leur émergence et leur future expansion demeurent toutefois cruciales.
Il est tout d’abord primordial de pouvoir identifier le titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre générée par le machine learning. Est-ce le concepteur du programme, son éventuel commanditaire ou la machine elle-même ? De la réponse apportée à cette interrogation découle l’attribution des différents droits et prérogatives rattachés à la qualité d’auteur. Pour une musique écoutée près de 1.500.000 fois sur YouTube cette réflexion est loin d’être anodine (1).
A cet égard, la jurisprudence a déjà eu l’occasion de préciser que la qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit ne peut être attribuée qu’à une personne physique. Le Tribunal de grande instance de Paris a par exemple refusé de reconnaitre un caractère original à des photographies aériennes, en précisant notamment que les clichés ont été pris à bord d’un avion équipé d’appareils photographiques déclenchés automatiquement et que l’angle de prise de vue était toujours le même (12). La Cour d’appel de Riom a quant à elle indiqué que la protection par le droit d’auteur d’une image satellite ne peut résulter que d’une mise en œuvre personnalisée d’une technologie complexe par un processus de transformation et d’amélioration (13).
Si les tribunaux semblent vouloir opérer une différenciation entre les œuvres de l’esprit protégeable par le droit d’auteur et les œuvres des machines, il serait opportun de réfléchir à un régime de protection venant davantage garantir l’investissement et définissant le titulaire de droits habilité à céder, concéder et défendre l’œuvre du machine learning. Face à ces questions éminemment sensibles, et partant du postulat que la création n’est plus l’apanage des êtres humains, il est aujourd’hui impérieux de déterminer le régime juridique des œuvres fruits de l’intelligence artificielle.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Propriété intellectuelle
(1) YouTube, Vidéo « Daddy’s Car: a song composed by Artificial Intelligence – in the style of the Beatles », 19-9-2016
(2) YouTube, Vidéo « Mr Shadow: a song composed by Artificial Intelligence », 19-9-2016
(3) Live Science, Article « Robo Rocker: How Artificial Intelligence Wrote Beatles-Esque Pop Song », 30-9-2016
(4) Wikipedia.org, Illiac Suite
(5) Theguardian.com, Article « David Cope: ‘You pushed the button and out came hundreds and thousands of sonatas' »,11-7-2010
(6) TensorFlow Google, Magenta
(7) Post du 6-2-2017
(8) Hollywoodreporter.com, Vidéo « Kristen Stewart (‘Come Swim’ Director) on Female Directors : « Just Make Stuff » Sundance 2017″, 1-2-2017
(9) Arxiv.org, Article « Bringing Impressionism to Life with Neural Style Transfer in Come Swim », 19-1-2017
(10) CPI, art. L. 113-2
(11) CPI, art. L. 113-4
(12) TGI Paris, 3e ch., 6-10-2009, Casalis c/ Ville de Paris
(13) CA Riom, ch. com 14-5-2003, Rubie’s france c/ Msat