En matière de marques communautaires, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que les décisions nationales s’appliquent dans l’Union européenne.
L’origine du litige
Par arrêt du 12 avril 2011, la CJUE s’est prononcée sur la portée territoriale des mesures prononcées par les juridictions nationales agissant en qualité de tribunal des marques communautaires, répondant ainsi aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation, dans son arrêt du 23 juin 2009 concernant l’affaire « webshipping » (1).
A l’origine du litige, la société Chronopost, titulaire de la marque française et communautaire « Webshipping » relative à la transmission d’informations, assigne en contrefaçon la société DHL Express France pour avoir utilisé ce signe, afin de désigner un service de gestion de courrier urgent, sur internet.
Le 15 mars 2006, le tribunal de grande instance de Paris, saisi, notamment en qualité de tribunal des marques communautaires, condamne la société DHL Express France au titre de la contrefaçon de la marque nationale WEBSHIPPING, sans se prononcer sur la contrefaçon de la marque communautaire. La décision est confirmée par la Cour d’appel de Paris, le 23 juin 2009. Elle a toutefois refuser d’étendre les effets de l’interdiction sous astreinte, prononcée sur le territoire français, à l’ensemble du territoire de l’Union européenne.
La Cour a estimé qu’elle n’était pas en mesure de prononcer une mesure d’interdiction à l’échelle communautaire, par le fait, d’une part, qu’elle n’avait pas connaissance des lois nationales prévoyant une mesure comparable à celles prévues par le droit français et d’autre part, que le risque de confusion résultant de l’imitation de la marque communautaire n’avait été apprécié qu’au regard des consommateurs francophones.
Saisie de la question de savoir si une juridiction nationale agissant en qualité de tribunal des marques communautaires peut prendre des mesures d’interdiction applicables à l’ensemble du territoire communautaire, en application du caractère unitaire de la marque communautaire, la Cour de cassation a préféré saisir la Cour de justice de l’Union européenne de cette question préjudicielle, à laquelle la CJUE apporte aujourd’hui une réponse.
Le caractère unitaire de la marque communautaire
Eu égard à la position stricte, déjà adoptée par la Cour dans l’affaire Nokia du 14 décembre 2006 (2), il apparaissait vraisemblable que la CJUE fasse prévaloir le caractère unitaire de la marque communautaire sur le caractère national des règles régissant l’appréciation des atteintes à la marque communautaire et les sanctions qui en résultent, par la juridiction nationale, saisie en qualité de tribunal des marques communautaires.
Une telle prévalence paraissait, au demeurant, conforme à la lettre du règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993 (3) et aux règles de compétence et de droit édictées par ce dernier. La décision rendue le 12 avril 2011 n’apparaît donc pas surprenante. Néanmoins, elle apparaît lourde de conséquences pour les contrefacteurs poursuivis sur la base d’une marque communautaire. En effet, la Cour retient :
- d’une part, que la portée de la décision prononcée par la juridiction nationale agissant en qualité de tribunal des marques communautaires « s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union européenne », sauf à ce que le tribunal constate le caractère géographiquement limité de l’atteinte à la marque et limite, en conséquence, l’interdiction prononcée ;
- d’autre part, que les mesures coercitives éventuellement ordonnées dans ce cadre produisent également effet dans les autres Etats membres que celui dont relève la juridiction ayant rendu la décision. A défaut de dispositions nationales comparables, il appartiendra à l’Etat concerné de recourir aux dispositions applicables en droit interne, afin de garantir le respect de l’interdiction dans des conditions équivalentes à celles ordonnées.
La décision est lourde de conséquences. Sans aller jusqu’à l’incitation au forum shopping, une telle décision peut conduire à adopter une stratégie procédurale spécifique, prenant en considération la distinctivité du signe opposé, au regard de la langue du tribunal saisi, ainsi que l’efficacité des mesures coercitives susceptibles d’être ordonnées.
A l’inverse, le défendeur aura tout intérêt à procéder à l’analyse linguistique du signe opposé et à demander, le cas échéant, la limitation d’une éventuelle interdiction à un territoire donné, sauf à prendre le risque de se voir interdire l’usage, sur l’ensemble de l’Union européenne, de signes distinctifs sur le territoire national dans lequel l’action à été engagée et parfaitement usuels ou nécessaires dans d’autres pays de l’Union.
(1) CJUE 12-4-2011 C-235/09, DHL Express France SAS, anciennement DHL International SA c./ Chronopost SA
(2) CJCE 14-12-2006, C-316/05, Nokia Corp. c./ Joacim Wärdell.
(3) règlement (CE) n°40/94 du 20-12-1993 modifié