Une société de vente sur internet proposait à ses utilisateurs de rentrer le nom de parfums de grandes marques afin de comparer leurs propriétés et de vendre des produits contenant les mêmes composants mais trois fois moins cher, selon elle.
Il s’agit là d’un cas classique de pratique de « tableaux de concordance » ayant, par le passé donné lieu à une jurisprudence abondante, si ce n’est que la pratique est ici mise en œuvre sur internet : Se présentant comme le « libérateur » des grandes fragrances, le site proposait un moteur de recherche référençant de multiples parfums de grandes marques. Le résultat de la requête permettait à l’internaute d’accéder à une fiche de parfum au nom et au flacon différent du produit marqué mais supposé être composé des mêmes ingrédients principaux.
Face au refus, par cette société de supprimer la référence aux marques concernées, les titulaires des marques l’ont assigné sur les fondements de la contrefaçon de marque par reproduction et par substitution, de l’atteinte à la marque de renommée, sur la publicité trompeuse ainsi que sur la concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Après avoir rappelé la position de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) en la matière, c’est sur le terrain de la contrefaçon que le tribunal fait droit aux demandes des titulaires de marques, par décision en date du 11 avril 2014..
Le tribunal rappelle que la CJUE a estimé que le titulaire d’une marque peut interdire l’usage par un tiers d’un signe identique dans une publicité comparative illicite, même lorsque cet usage ne porte pas atteinte à la fonction d’indication d’origine et que la directive 85/450 du 10 septembre 1984 énonce que les listes comparatives de parfum sont susceptibles d’être qualifiées de publicité comparative dès lors qu’elles identifient explicitement ou implicitement des biens offerts par un concurrent. Par suite, les sociétés demanderesses n’auraient pas été à même de d’interdire l’usage de leurs marques par un tiers si la publicité comparative satisfait toutes les conditions de licéité énoncées par l’article 3 bis de ladite directive.
En l’espèce, le Tribunal de Grande instance relève, en premier lieu, que l’usage des marques a été fait « dans un but publicitaire et non à des fins descriptives » de sorte que la société éditrice du site ne peut se prévaloir de l’exception de « référence nécessaire » pour échapper à l’action en contrefaçon.
Poursuivant son analyse, le tribunal retient qu’il n’existe pas de risque de confusion possible entre les parfums marqués et ceux proposés par le site dans la mesure où, d’une part les noms des produits et leurs flacons sont clairement différents et, d’autre part, le site indique clairement que le produit proposé est un « parfum concurrent ». Néanmoins, la pratique du site conduit l’internaute à identifier le produit proposé « comme une imitation du jus de parfum de grande marque », dont la renommée n’est pas contestée et le système de vente en ligne exclut toute possibilité pour le consommateur de sentir le parfum proposé de sorte que l’acte d’achat repose sur la prétendue ressemblance avec les parfums marqués.
Le tribunal en conclut que les défendeurs ont, par ces agissements, commis des actes de publicité comparative illicite « d’une part en tirant indument profit de la notoriété attachée à une marque de fabrique, d’autre part en présentant ses biens comme des imitations de biens couverts par une marque ».
Ces mêmes agissements sont constitutifs de contrefaçon par reproduction dès lors qu’ils portent atteinte à « la fonction de communication, d’investissement ou de publicité attachée aux marques en cause, laquelle est particulièrement importante s’agissant de marques de grande renommée associées au luxe par le public ».
On sait que la contrefaçon suppose l’atteinte aux fonctions essentielles de la marque et, le plus souvent, à sa fonction d’indication d’origine des produits ou des services offerts. Ce n’est pas le critère retenu ici puisque, de toute évidence, aucune atteinte n’était portée à la fonction d’indication d’origine du produit, l’internaute étant parfaitement informé de ce que le produit proposé n’était pas le produit original mais un produit concurrent.
C’est donc sur la base de l’atteinte aux autres fonctions de la marque et, plus particulièrement, à ses fonctions d’investissements et de publicité, que la contrefaçon peut ici être retenue.
Même si la CJUE rappelle régulièrement que le titulaire de la marque peut opposer ses droits en cas d’atteinte à l’une des fonctions de la marque, « qu’il s’agisse de la fonction essentielle d’indication d’origine du produit ou du service couvert par la marque ou de l’une des autres fonctions de celle-ci, telles que celle consistant à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d’investissement ou de publicité », la reconnaissance par les tribunaux français, d’un atteinte à une fonction autre que celle de d’indication d’origine est assez rare pour être soulignée. La décision rendue par le tribunal de grande instance le 11 avril 20114 en constitue un exemple.
Virginie Brunot
Cyrielle Trutt
Lexing Droit Propriété industrielle