Bien qu’une couleur ou nuance de couleur puisse, en principe, être déposée à titre de marque, l’appréciation de leur aptitude à constituer une marque valable et de leur caractère distinctif, soulève de nombreuses difficultés rendant difficile leur enregistrement effectif.
Par un arrêt du 27 mars 2019 (1), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue apporter de nouvelles précisions sur l’incidence de la qualification donnée à un signe lors du dépôt de la marque ainsi que sur les conditions de protection de la marque de couleur.
Dans cette affaire, l’Office de la propriété intellectuelle finlandais avait refusé l’enregistrement, d’un signe représentant un bandeau de couleur pour les eaux minérales (classe 32). Le signe, déposé comme « marque de couleur » était décrit de la manière suivante : « les couleurs du signe sont le bleu (PMS 2748, PMS CYAN) et le gris (PMS 877) », et représenté comme ci-dessous :
Le demandeur produisait, à l’appui de sa demande d’enregistrement une étude de marché destinée à démontrer que le signe avait acquis un caractère distinctif par l’usage.
L’Office finlandais avait refusé de faire droit à la protection, retenant que la protection d’une couleur par le droit des marques est subordonnée à la démonstration de ce que la couleur en question a acquis un caractère distinctif en raison d’un usage durable et important et qu’au cas d’espèce, l’étude de marché produite établissait la reconnaissance du signe, non au regard des couleurs en tant que telles, mais au regard du bandeau lui-même, c’est-à-dire d’un signe figuratif dont les contours sont définis et déterminés.
Après avoir vu son recours rejeté par le tribunal des affaires économiques, le demandeur a saisi la Cour administrative suprême finlandaise contre la décision rendue.
Cette dernière a décidé de surseoir à statuer et a saisi la CJUE de questions préjudicielles visant à déterminer :
- si la question de savoir si l’enregistrement de la marque est demandé en tant que marque figurative ou en tant que marque de couleur est pertinente pour apprécier si le signe est susceptible de constituer une marque au sens de la directive 2008/95 ;
- si la qualification de « marque de couleur » ou « marque figurative » est pertinente pour apprécier le caractère distinctif, la « marque de couleur » présentée sous la forme d’un dessin doit-elle enregistrée conformément à la demande de marque, ou peut-elle être enregistrée en tant que marque figurative ?
- s’il est possible d’enregistrer une marque représentée par un dessin (marque semi-figurative) en tant que marque de couleur dès lors qu’elle revêt la précision requise pour l’enregistrement d’une marque de couleur, le demandeur doit-il en outre présenter une quelconque preuve ?
Incidence de la qualification donnée pour apprécier si le signe est susceptible de constituer une marque valable
Saisie de la question, la CJUE rappelle, à titre liminaire, que la directive 2008/95 (2) ne fait pas de distinction entre les catégories de marques. A ce titre, les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques de couleur doivent être les mêmes que ceux applicables aux autres catégories de marques.
Pour autant, elle retient que la qualification donnée au signe lors du dépôt – « marque de couleur » en l’espèce ou « marque figurative » – constitue un élément pertinent pour déterminer l’objet et l’étendue de la protection demandée.
Elle constitue donc un critère pertinent pour apprécier si le signe dont la protection est demandée est apte à identifier les produits et/ou services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à le distinguer de ceux provenant d’autres entreprises au sens de l’article 2 de la Directive.
Incidence de la qualification donnée pour apprécier si le signe est distinctif
La Cour retient que cette qualification constitue également un élément pertinent pour apprécier le caractère distinctif du signe déposé.
Après avoir rappelé que les critères relatifs à l’appréciation du caractère distinctif sont les mêmes pour les marques de couleur et les marques figuratives, la Cour rappelle que cet examen doit être réalisé « in concreto », c’est-à-dire tenant compte de toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce.
Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la perception du public pertinent n’est pas nécessairement la même s’agissant d’une marque de couleur ou d’une marque verbale ou figurative.
La qualification de « marque de couleur » implique donc d’appliquer les principes dégagés par la Cour notamment dans son arrêt Libertel du 6 mai 2003 (3) :
- l’intérêt général doit conduire les Offices à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services similaires ;
- contrairement à un signe verbal ou figuratif, une couleur ne sera pas nécessairement perçue par le public comme un signe identificateur de l’origine du produit et ne permet donc pas, en elle-même, de distinguer les produits d’une entreprise ;
- même si une couleur n’a pas ab initio un caractère distinctif, elle peut l’acquérir à la suite de son usage en rapport avec les produits ou les services revendiqués.
Enfin, la Cour précise qu’il serait contraire à un examen in concreto de ne reconnaître un caractère distinctif à une couleur qu’en raison de son usage en rapport avec les produits ou les services revendiqués.
Ainsi, les Offices ne doivent pas se contenter d’apprécier l’usage de la couleur mais se doivent notamment de procéder à un examen de la couleur en elle-même, afin de déterminer si elle est susceptible de conférer au signe un caractère distinctif intrinsèque.
Incidence de la contradiction entre signe déposé et qualification donnée lors du dépôt
Enfin, la Cour se prononce sur l’incidence de la contradiction résultant du dépôt d’un signe représentant un dessin en couleur et aux contours délimités en tant que « marque de couleur », c’est-à-dire un signe sans contour.
Retenant que cette contradiction révélait une absence de clarté et de précision de la demande de protection au titre du droit des marques, la Cour conclut au rejet de la demande d’enregistrement qui ne répond pas aux exigences de la Directive.
Le diable se cache souvent dans les détails et il est donc crucial pour le dépôt d’identifier précisément l’objet de sa demande de protection.
La solution, rendue au regard de la directive 2008/95, ne devrait pas être modifiée avec la transposition de la directive 2015/2436 du 16 décembre 2015 dans la mesure où cette dernière ne crée pas davantage de catégories de marques et n’opère pas de changement quant à l’appréciation de la notion de distinctivité.
Ainsi, le déposant qui entend revendiquer une protection pour une couleur devra veiller à déposer un signe sans contour et s’assurer que le signe déposé répond aux exigences requises en matière de marque de couleur ; à l’inverse, le déposant qui souhaite revendiquer une protection sur une couleur associée à une forme donnée veillera à qualifier son dépôt de marque figurative et non de marque de couleur.
Virginie Brunot
Amélie Maïo
Lexing Contentieux propriété industrielle
(1) Arrêt CJUE, 27 mars 2019, aff. C 578/17, Oy Hartwall
(2) Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques (remplacée par la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, laquelle devrait être transposée par ordonnance, au plus tard le 22 novembre prochain, en application l’article 201 de la loi PACTE 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises)
(3) Arrêt CJUE, 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel.