La Cour de Justice de l’Union européenne vient de mettre fin à dix ans de débat judiciaire sur le célèbre cube.
Prise en considération de la fonction technique
L’histoire commence en 1999, lorsque la société britannique Seven Towns, alors titulaire des droits de propriété intellectuelle sur le célèbre jouet, dépose la marque communautaire Rubik’s cube afin de protéger la forme singulière de ce « puzzle à trois dimensions ».
En 2006, un producteur de jouets allemand concurrent, la société Simba Toys, demandait à l’EUIPO d’annuler cette marque tridimensionnelle au motif notamment qu’elle comportait une solution technique consistant dans sa capacité de rotation. Le demandeur arguait qu’une telle solution ne pouvait être protégée qu’au titre du droit des brevets de sorte que le dépôt en tant que marque n’était pas valide.
Débouté par l’EUIPO, le demandeur avait alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours visant à annuler la décision de l’EUIPO.
Par un arrêt du 25 novembre 2014, le tribunal rejetait le recours de Simba Toys. Il estimait en effet que les caractéristiques essentielles de la marque Rubik’s cube résidaient non seulement dans la forme cubique du produit, mais également dans la structure en grille matérialisée par des lignes épaisses figurant sur chaque face du cube.
Selon le tribunal, la représentation graphique du cube ainsi réalisée et déposée ne faisait aucune allusion à la capacité de rotation et était insuffisante à la matérialiser visuellement (1).
Face au refus du Tribunal de l’Union européenne, Simba Toys avait alors saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) laquelle a définitivement statué sur le sort de la marque européenne Rubik’s cube par arrêt du 10 novembre 2016.
La Cour a estimé que « les caractéristiques essentielles de la forme cubique » devaient être appréciées « au regard de la fonction technique du produit que cette forme représente ». Elle précise que, au-delà de l’aspect visible des éléments de la représentation de la marque contestée, les éléments non visibles doivent également être pris en considération.
En l’espèce, il importait donc de tenir compte de la capacité de rotation des composants individuels du puzzle à trois dimensions, et ce quand bien même cette dernière n’était pas visible sur la représentation graphique déposée lors de l’enregistrement de la marque Rubik’s cube.
Interprétation de la décision
Pour rappel, la forme ou l’emballage des produits peuvent faire l’objet d’un enregistrement de marque. Les législations française et européenne les reconnaît en effet parmi les signes figuratifs qui peuvent être protégés à ce titre.
Les marques tridimensionnelles doivent répondre non seulement aux règles de validité communes à tous les types de marques simples, mais également à des exigences supplémentaires. L’absence de caractère distinctif et l’existence d’une fonction technique demeurent les motifs de refus les plus fréquents en matière de marques tridimensionnelles (2).
En particulier, la protection de la marque tridimensionnelle est exclue si la forme ou toute autre caractéristique pour laquelle la protection est demandée :
– résulte de la nature des produits;
– donne une valeur substantielle aux produits; ou
– est nécessaire pour obtenir un résultat technique.
En l’espèce, la CJUE a considéré que la forme cubique était nécessaire à l’obtention du résultat technique et ce, même si la représentation graphique de la marque déposée ne faisait pas apparaitre la capacité de rotation des composants.
La Cour semble donc pencher en faveur d’une analyse extensive, au-delà de la simple représentation graphique du signé déposé dans la mesure où elle considère que le tribunal aurait dû « prendre en considération des éléments non visibles sur la représentation graphique de cette forme, tels que la capacité de rotation des composants individuels d’un puzzle à trois dimensions ».
En outre, la CJUE considère que le fait que la marque ait été déposée pour des « puzzles à trois dimensions », sans se limiter auxdits puzzles ayant une capacité de rotation, ne constituait en rien un élément faisant obstacle à la prise en compte de la fonction technique du produit.
Au contraire, la Cour énonce que cela la rendait nécessaire dans la mesure où la demande de marque, formulée en ces termes, était susceptible d’affecter tous les fabricants de puzzles tridimensionnels dont les éléments représentaient la forme d’un cube et de créer un monopole injustifié au profit du déposant.
Des conditions de validité affinées
Cette décision de la CJUE ne va pas sans rappeler celle rendue à l’occasion du conflit opposant la société Nestlé à un de ses concurrents sur la protection de sa célèbre barre chocolatée Kit-Kat (3).
La CJUE avait alors rappelé qu’une marque exclusivement fonctionnelle était nulle et que ce motif de nullité ne pouvait être couvert par l’usage. Elle avait toutefois précisé qu’une marque tridimensionnelle était susceptible de devenir distinctive par l’usage à condition de démontrer que le public est en mesure d’attribuer une origine à la forme en question indépendamment de tout autre signe distinctif (4).
Quel avenir pour le Rubik’s cube ?
Que les fans de Rubik’s cube se rassurent, la célèbre marque ne disparaît pas complètement de la circulation. Elle est toujours protégée, entre autre, à titre de marque verbale un peu partout dans le monde.
Cet arrêt aura donc pour conséquences de permettre aux fabricants de jouets de pouvoir produire et commercialiser des puzzles avec un système rotatif si aucun brevet ne protège celui du célèbre cube.
Ils ne pourront toutefois pas l’appeler « Rubik’s cube » qui reste un signe protégé par le droit des marques et plus généralement au titre des droits de propriété intellectuelle.
En outre, ils ne pourront pas imiter l’assemblage des couleurs du cube mondialement connu, sous peine d’être poursuivis pour concurrence déloyale ou parasitaire.
Anne-Sophie Cantreau
Audrey Cuenca
Lexing Droit des marques
(1) Tribunal (UE), Communiqué n°158/14 du 25-11-2014.
(2) Wipo Magazine, Article de Franck Soutoul et Jean-Philippe Bresson « Les marques tridimensionnelles dans la pratique française et communautaire », 2-2009.
(3) CJUE, 16-9-2015, Aff. C-215/14, Société des Produits Nestlé SA c. Cadbury UK Ltd.
(4) Post du 11-11-2015.