Le Sénat a publié fin septembre, un rapport sur le phénomène grandissant de l’Ubérisation de la société et de l’impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi.
En 2017, l’Enquête Emploi menée par l’INSEE estimait à 200 000 le nombre de personnes travaillant en France via des plateformes numériques, soit environ 0,8 % de la population active en emploi et 6,9 % des indépendants, principalement dans le secteur des transports, de l’immobilier et de l’information et de la communication.
Les données sectorielles montrent que le nombre de travailleurs des plateformes numériques augmente en France. Ainsi, entre 2017 et 2018, le nombre de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) enregistrés a augmenté de 65 % ; soit 2,8 fois plus qu’en 2016.
La mission d’information du Sénat étudie les effets sur l’économie et la société du phénomène de « plateformisation » impulsé par les plateformes de mobilité.
Après avoir entendu plus de 60 personnes dans le cadre d’une trentaine d’auditions, la mission d’information a formulé des recommandations autour de quatre grandes problématiques :
- l’amélioration des conditions de travail,
- le développement du dialogue social,
- l’encadrement du management algorithmique (1) ainsi que
- la transparence, l’explicabilité et la régulation des algorithmes des plateformes.
La démocratisation de l’internet, le statut d’auto-entrepreneur et l’ubérisation de la société
Le rapport commence par expliquer ce qu’est l’ubérisation (2). Ce phénomène né dans les secteurs à forte mobilité tel celui du transport de personnes avec chauffeur (VTC), s’étend désormais à l’ensemble de l’économie.
Ce secteur a été fortement impacté par toute une série d’innovations technologiques (smartphone introduit avec le GPS, internet haut débit, paiement en ligne, etc.) qui ont entraîné une « disruption » du métier de taxi donnant naissance au néologisme.
Le rapport explique ensuite que les plateformes numériques de services fournis par des tiers ont connu une croissance significative. C’est la conséquence de la démocratisation de l’internet mais aussi du statut d’auto-entrepreneur créé par la loi du 4 août 2008.
Mieux comprendre l’impact de l’ubérisation de l’économie
La manière dont les plateformes réduisent le coût du travail s’apparente aux politiques d’externalisation menées par les grandes entreprises. Cette prolifération entraine des risques en matière de garantie de la qualité des prestations réalisées. Cela rend nécessaire un meilleur contrôle sur les qualifications des travailleurs et de manière générale, sur la qualité des services.
Le rapport analyse ensuite l’impact de la « plateformisation » de l’économie sur notre modèle social. En effet, cela a entraîné une grande précarité du travail pour les personnes faiblement qualifiées et en grande dépendance économique.
Les recommandations visant à améliorer les conditions de travail
La mission d’information estime qu’il y a donc une nécessité d’améliorer les conditions de travail des travailleurs de plateformes. A ce titre, elle propose d’étendre à l’ensemble de ces travailleurs :
- les garanties dont bénéficient les salariés en matière de sécurité au travail ;
- les compétences de l’inspection du travail en matière de contrôle du respect de la sécurité au travail ;
- le droit à la déconnexion dont bénéficient déjà les travailleurs des plateformes de mobilité.
Les recommandations relatives au management algorithmique
La mission d’information formule de nombreuses recommandations afin d’adapter le droit du travail aux spécificités du management algorithmique notamment en matière de :
- conditions de travail,
- respect de la vie privée et de manière plus générale, de dignité humaine vis-à-vis de l’intelligence artificielle.
Enfin, elle rappelle que la transparence et l’explicabilité des algorithmes des plateformes sont primordiales. Elles permettent de contribuer à la détermination des conditions de travail et de rémunération des travailleurs de plateformes. Une telle transparence permettra aux travailleurs de plateformes de reprendre le contrôle sur une grande partie de leur travail.
Isabelle Pottier
Lexing Département Etudes et publications
Edouard Turchi
(1) Selon la définition du bureau international du travail (BIT), le management algorithmique désigne un « environnement de travail dans lequel des emplois humains sont attribués, optimisés et évalués par l’intermédiaire d’algorithmes et de données suivies ».
(2) Le terme « ubérisation » fait son apparition pour la première fois dans le dictionnaire Le Petit Larousse 2017, qui le définit comme : la « remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plates-formes de réservation sur Internet ».