Une nouvelle publication est réalisée par le déplacement d’un contenu au sein des rubriques d’un site internet.
Le simple changement d’onglet d’une publication sur un même site est-il interruptif de prescription au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ?
En l’espèce, la question posée à la chambre criminelle de la Cour de cassation était celle de savoir si le fait de déplacer, sur Wikipedia, une même publication de l’onglet « historique » vers l’onglet « article » suffisait à qualifier une «nouvelle publication», interruptive à ce titre de prescription.
Une société d’édition avait déposé plainte avec constitution de partie civile en diffamation publique à raison de propos publiés sur Wikipédia, initialement dans l’onglet «historique», puis qui avaient été déplacés, sans modification, dans l’onglet «article».
Le juge d’instruction avait rendu une ordonnance de non-lieu, considérant que la prescription de trois mois prévue par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 avait été acquise, et précisant que le déplacement du contenu au sein du site ne constituait pas une nouvelle publication susceptible de faire courir un nouveau délai, ce qui avait été confirmé en appel par la chambre de l’instruction.
Tel n’est cependant pas l’analyse de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 10 avril 2018, a considéré que ce déplacement constituait bien une nouvelle publication, interruptive de prescription au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881.
Nouvelle publication et interruption de prescription en matière de diffamation
L’article 65, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que :
« L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait ».
Seule la republication d’un contenu prescrit permet donc d’agir à son encontre.
La jurisprudence a déjà eu l’occasion de préciser les circonstances dans lesquelles la nouvelle publication d’un contenu était interruptive de prescription. Elle a notamment, dans un arrêt du 2 novembre 2016 considéré que la publication d’un lien hypertexte vers un ancien article constituait une nouvelle publication de son contenu, et ce, à deux conditions : l’auteur doit être identique et le contexte éditorial doit être nouveau.
Déplacement au sein du site : nouvelle publication
Dans le cadre de la décision du 10 avril 2018 la Cour de cassation étend la possibilité de constater une nouvelle publication dans les cas d’une «nouvelle mise à disposition du public d’un contenu précédemment mis en ligne sur un site internet dont une personne a volontairement réactivé le contenu initial sur le réseau internet, après qu’il eut été retiré».
La Cour de cassation considère donc que le fait de déplacer une publication au sein d’un même site qui crée nécessairement une nouvelle adresse URL de publication, est constitutive d’une nouvelle publication, interruptive de prescription.
Par cet arrêt la chambre criminelle de la Cour de cassation identifie une nouvelle cause d’interruption de la prescription en matière de délit de presse sur internet. Cette nouvelle cause d’interruption est particulièrement bienvenue, à raison du caractère particulièrement inadapté de la prescription de 3 mois de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 aux délits de presse réalisés au moyen de réseaux de communication au public en ligne.
Chloé Legris
Raphaël Liotier
Lexing E-réputation et Droit pénal numérique
(1) Cass. crim. 10 avril 2018, n°17-82.814.
(2) Cass. crim. 2 novembre 2016, n° 15-87.163.