La Cour de cassation a apporté des précisions en matière de nullité de la marque dans l’affaire Christian Lacroix.
Les faits
Cette affaire oppose une nouvelle fois un créateur célèbre et son ancienne société au sujet de l’utilisation d’un patronyme devenu marque célèbre.
La société Christian Lacroix a, durant de nombreuses années, collaboré avec le célèbre couturier français, lequel lui a cédé, en 1987, la marque verbale française CHRISTIAN LACROIX n°1 399 703 protégée pour les vêtements, tissus et produits textiles, couvertures de lit et de table et linge de maison. Parallèlement, celui-ci autorisait la société à faire usage de son nom patronymique pour exercer des activités commerciales ainsi que pour déposer ou étendre la protection de la marque CHRISTIAN LACROIX.
En 2008, la société Christian Lacroix dépose une marque verbale communautaire CHRISTIAN LACROIX n°7 237 761 pour désigner les vêtements et les revêtements pour les sols et les murs. Le couturier cesse sa collaboration avec la société en 2009.
En février 2011, la société Christian Lacroix découvre que la société Sicis SRL a conçu une collection de meubles sous la dénomination « Designed by Mr Christian Lacroix », lesquels sont distribués en France par la société Sicis France.
Elle met donc en demeure les sociétés Sicis de cesser toute communication commerciale sous cette dénomination. Ces dernières objectent que la société Christian Lacroix n’est titulaire d’aucune marque couvrant le mobilier en classe 20.
En juin 2011, la société Christian Lacroix dépose la marque communautaire CHRISTIAN LACROIX n°10 014 471 désignant les meubles et fait procéder à une saisie-contrefaçon sur la base de cette demande d’enregistrement. Elle assigne ensuite les sociétés Sicis en contrefaçon de marque et atteinte à la marque de renommée.
Le couturier et la société XCLX, partenaires des sociétés Sicis, interviennent à l’instance et soulèvent la nullité de la marque communautaire CHRISTIAN LACROIX n°7 237 761 et de la marque n°10 014 471.
Le Tribunal de grande instance de Paris (1), puis la Cour d’appel, prononcent la nullité des deux marques (2) et rejettent les demandes formées au titre de la contrefaçon de marque et de l’atteinte à la marque de renommée.
Par arrêt du 8 février 2017, la Cour de cassation valide le raisonnement sur la contrefaçon de marque et l’atteinte à la marque de renommée mais censure l’arrêt de la cour d’appel (3) sur le terrain contractuel.
Cette décision, classique sur le terrain de la contrefaçon de marque, apporte un éclairage intéressant sur l’appréciation de la renommée d’une marque, du dépôt frauduleux et de l’étendue de l’autorisation d’usage d’un patronyme à titre de marque.
Absence de contrefaçon et de renommée
La cour d’appel avait rejeté la demande en contrefaçon de la marque CHRISTIAN LACROIX n°1 399 703 faute de similitude entre les luminaires et meubles commercialisés par Sicis France, qui sont des produits finis aux fonctions précises et utilisables immédiatement, et les tissus et produits textiles visés par la marque, qui constituent des produits intermédiaires destinés à être transformés. N’étant pas destinés à la même clientèle et n’empruntant pas les mêmes canaux de distribution, elle en déduit que les produits en comparaison ne sont ni similaires, ni complémentaires.
De manière assez logique, la Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel sur ce point.
De manière plus intéressante, elle confirme également le raisonnement de la cour ayant refusé de retenir la renommée de la marque CHRISTIAN LACROIX en retenant l’évolution dans le temps de la perception du signe aux yeux du public.
Rappelant que la renommée de la marque s’apprécie à la date d’exploitation du signe litigieux, c’est-à-dire en l’espèce, en 2011, elle relève que la société Christian Lacroix a cessé ses activités de haute couture et de prêt-à-porter en 2009, au départ du couturier, pour se réorienter vers une activité de gestion de licence de marques principalement concédées à l’étranger, de sorte que celles-ci sont inaptes à démontrer une renommée sur le territoire français.
Elle retient, par ailleurs, que les sondages réalisés en 2014 démontrent que la renommée de la marque était étroitement liée à ses anciennes activités et qu’elle est désormais déclinante. Faute de justification de ses parts de marché ou d’investissements consacrés à la promotion de la marque, la société Christian Lacroix est déboutée de ses demandes fondées sur l’atteinte à la renommée de la marque.
Nullité de la marque et dépôt frauduleux
Conformément à l’adage « fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout), l’enregistrement d’une marque peut être annulé s’il a été effectué frauduleusement. La fraude peut consister à utiliser la marque, non pour identifier l’origine de produits ou de services, mais pour la détourner de sa fonction dans le but de se réserver un accès privilégié à un marché local (7). Il peut s’agir également de vouloir s’approprier le bénéfice d’une action entreprise par un tiers (8).
La cour d’appel avait prononcé la nullité de la marque communautaire CHRISTIAN LACROIX n°10 014 471 déposée pour des produits d’ameublement, postérieurement à la mise en demeure faite aux sociétés Sicis.
En effet, les sociétés Sicis contestaient la mise en demeure en faisant valoir que la société Christian Lacroix ne disposait pas de droit à titre de marque pour désigner des produits d’ameublement, des bougies et des produits d’éclairage. Ce n’est que suite à cette réponse que la société a procédé au dépôt de la marque, dont elle se servira ensuite pour solliciter des mesures de saisie-contrefaçon et fonder son action en contrefaçon.
La cour d’appel retient, au regard de cette chronologie, que le dépôt a été effectué de mauvaise foi et que la société Christian Lacroix ne pouvait prétendre avoir procédé à ce dépôt pour répondre aux besoins d’un licencié, formulés deux ans auparavant.
La Cour de cassation estime que la cour d’appel a pris en considération l’ensemble des circonstances propres au cas d’espèce pour retenir que le dépôt avait été effectué par la société Christian Lacroix de mauvaise foi, dans le but de détourner le droit de marque de sa finalité essentielle.
Elle censure toutefois la décision d’annulation de la marque pour l’ensemble des produits visés à son libellé, retenant l’absence de motivation quant au caractère frauduleux du dépôt pour les produits autres que les meubles (9).
Nullité de la marque et prohibition des engagements perpétuels
L’article L.711-4 du Code de la propriété intellectuelle interdit l’adoption d’une marque portant atteinte à des droits antérieurs, notamment au nom patronymique d’un tiers (4).
Pour autant, rien n’interdit au porteur de ce nom d’en autoriser l’usage par voie contractuelle, y compris à titre de marque.
La société Christian Lacroix faisait valoir l’autorisation accordée en 1987 par le couturier d’utiliser son patronyme à des fins commerciales, ainsi que d’étendre la protection du signe à titre de marque sans autorisation préalable. Elle n’avait donc, selon elle, pas à recueillir l’autorisation préalable du couturier pour déposer la marque CHRISTIAN LACROIX n°7 237 761.
Le couturier faisait, quant à lui, valoir l’absence de durée prévue au contrat pour opposer la prohibition des engagements perpétuels prévue par l’article 1780 du Code civil (5), solution retenue par la cour d’appel pour prononcer la nullité de la marque.
La Cour de cassation refuse de valider ce raisonnement et rappelle, aux visas des articles 1134 (6) et 1780 du Code civil, que le contrat à exécution successive, dans lequel aucun terme n’est prévu, n’est pas nul, mais constitue une convention à durée indéterminée que chaque partie peut résilier unilatéralement, à condition de respecter un juste préavis.
Par conséquent, les engagements pris par le couturier à l’égard de la société Christian Lacroix étaient à exécution successive. En considérant que ces engagements se heurtaient à la prohibition des engagements perpétuels, pour en déduire qu’ils étaient nuls et prononcer la nullité de la marque CHRISTIAN LACROIX n° 7 237 761, la cour d’appel a violé les textes précités.
L’affaire étant renvoyée devant la Cour d’appel de Paris autrement composée, il y a fort à parier que la saga Christian Lacroix, qui n’est pas sans rappeler les affaires Ines de La Fressange ou Kenzo, n’est pas terminée.
Virginie Brunot
Justine Ribaucourt
Lexing Droit Propriété industrielle
(1) TGI Paris, 10-1-2014, RG 11/12674
(2) CA Paris, 10-10-2014, RG 14/01577
(3) Cass. Com., 8-2-2017, n°14-28232
(4) CPI, art. L.711-4.
(5) C. civ., art. 1780.
(6) C. civ., art. 1134 (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance 2016-131 du 10-2-2016)
(7) Cass. com., 23-6-2009, n°07-19.542
(8) TGI Paris, 14-3-2007, RG 06/00016
(9) CPC, art. 455.