Née du développement des pratiques collaboratives et des technologies de l’information, l’ open innovation est à la mode.
Pourquoi limiter le champ des initiatives et la source de l’innovation aux services internes de R&D et risquer de passer à côté de mines d’or de bonnes idées ?
L’idée n’est pas nouvelle au sein des entreprises, où on la trouve par exemple implémentée sous la forme primitive des « boîtes à idées ». Elle au cœur des processus de recherche et de développement en commun mis en place dans les pôles de compétitivité. Ce qui est plus nouveau est l’association des clients et partenaires externes de l’entreprise, voire du grand public invité à participer à un projet de « crowdsourcing ».
L’open innovation permet aux entreprises d’être plus proches de leurs clients ou partenaires et d’atteindre des communautés éloignées, et donne aux innovateurs une chance inespérée de voir leur projet retenu et développé par un acteur majeur du domaine. Certains projets d’open innovation ont été largement médiatisés. A titre d’exemple :
- Boeing a consulté 14 associations de passagers pour dessiner le Dreamliner ;
- Oxylane (Décathlon) a conçu un vélo électrique en sollicitant une communauté de concepteurs professionnels ou amateurs travaillant selon les principes de l’open source ;
- Dell a créé une plate-forme technique pour le grand public ;
- Fiat a consulté 17 000 personnes dans 160 pays pour les spécifications de la Fiat Moi ;
- Lego a invité ses clients à dessiner leur propre boîte de jeux en ligne ;
- Raidlight a conçu avec ses clients son célèbre sac à dos ventral ;
- etc.
Open. L’open innovation s’inscrit dans le mouvement « open » – open source, open contenus, open data, open knowledge, etc. – qui repose sur une idée de liberté d’exploitation, qu’il est d’usage d’opposer à la propriété intellectuelle, par nature privative. Open innovation et propriété intellectuelle sont-ils deux mondes inconciliables ?Sur le principe, il convient de souligner que ces deux mondes, non seulement ne sont pas étanches, mais qu’ils sont interdépendants : s’il n’existait pas de propriété intellectuelle, la question de l’« open » ne se poserait pas puisque l’exploitation des logiciels, des contenus, des données, serait libre. Or tel n’est généralement pas le cas ; par exemple, il n’existe aujourd’hui aucun logiciel qui soit dans le domaine public (c’est-à-dire dont l’auteur est décédé depuis plus de 70 ans).Open ne signifie pas libre, mais libéré, ce qui est différent. Il s’agit d’une liberté conditionnelle et limitée : c’est uniquement celle octroyée par le titulaire des droits de la propriété intellectuelle. La jurisprudence illustre régulièrement les déconvenues de ceux qui ignorent cette règle de base.
Risques. Les projets d’open innovation présentent des risques juridiques spécifiques, en ce sens qu’à la différence des auteurs des logiciels « libres» ou de contenus « libres de droits », l’initiateur d’un projet d’open innovation entend généralement conserver la maîtrise et l’exploitation exclusive des résultats obtenus. Comment réunir et s’approprier des droits de propriété intellectuelle éparpillés entre des concepteurs multiples, parfois situés aux quatre coins du monde ?
Mais la problématique essentielle posée par les projets d’open innovation tient au caractère technique des innovations, lesquelles sont susceptibles de constituer des inventions brevetables ou des savoir-faire, les deux systèmes de protection étant conditionnés au secret sur le plus absolu. Comment concilier une telle exigence de secret avec un système collaboratif, a fortiori s’il est largement ouvert ? Comment s’assurer qu’un contributeur n’a pas divulgué son innovation préalablement à un tiers ?
Par ailleurs, quand les sources sont étrangères, multiples et difficilement contrôlables, comment être certain que les contributions apportées ne sont pas contrefaisantes, ou ne portent pas atteinte aux droits de tiers ?
Approche. Une politique de l’open innovation performante est celle qui assure la préservation et la défense de ses droits de propriété intellectuelle, et fait un bon usage de la propriété intellectuelle pour optimiser ses droits.
Mais c’est aussi une approche équilibrée, offrant aux participants un espoir raisonnable de succès et une contrepartie équitable, ces principes devant guider tant le choix des participants que la contrepartie versée, laquelle peut être financière, mais aussi revêtir d’autres formes.
Il faut cependant tenir compte, à cet égard, des règles contraignantes du droit d’auteur, susceptibles de s’appliquer à toutes les innovations de forme, notamment les créations de mode et de design industriel.
Démarche. Pour être sécurisé sur la plan juridique, un projet d’open innovation requiert une démarche rigoureuse, reposant sur :
- La définition de processus : tout d’abord, un processus de qualification des innovations concernées, car une invention brevetable n’engendre pas les mêmes problématiques juridiques qu’une forme esthétique ou qu’un nom commercial, étant souligné qu’une même innovation est susceptible de présenter, du point de vue de la propriété intellectuelle, de multiples facettes, ce qui rend sa qualification complexe. Mais il convient également de mettre en place des processus de gestion de la confidentialité, laquelle représente un enjeu majeur de l’open innovation, de traçabilité, d’anticipation des risques de contrefaçon, de vérification.
- La gestion contractuelle : des contrats en bonne et due forme, et opposables aux contributeurs, doivent gérer les aspects de confidentialité, d’exclusivité, de propriété intellectuelle, de rémunération des contributeurs, de garantie.
- La mise en place d’une organisation : la mise en place et le suivi d’un projet d’open innovation requiert des ressources appropriées en nombre et en qualité, permettant de réunir les compétences techniques, financières, commerciales, en marketing, et juridiques, dans une organisation cohérente, où les rôles de chacun sont bien définis, et dotée d’une instance de pilotage (tel un comité de l’innovation).
- L’utilisation de bons outils : la politique de l’open innovation doit pouvoir reposer de bons outils juridiques ; outre les outils contractuels, il peut être mis en place et diffusé des guides pratiques, des tableaux d’équivalence et d’aide à la qualification, des grilles d’analyse, des grilles d’audit, des FAQ, etc., dont l’usage et la compréhension seront facilités par des formations internes.
Bénéficier de l’intelligence collective tout en protégeant et valorisant son patrimoine intellectuel, et ce dans un cadre équitable, le défi juridique lancé par l’open innovation n’est pas simple, mais il ne relève pas de l’impossible.
Laurence Tellier-Loniewski