L’outrage suppose l’atteinte à l’autorité morale de la personne et la conscience que les propos la toucheraient.
Si les délits de diffamation et d’injure sont aujourd’hui bien connus et fréquemment invoqués sur Internet, dans la presse et les débats publics, le délit d’outrage prévu par l’article 433-5 du Code pénal est moins répandu (1).
Le peu d’application de cet article résulte de deux circonstances :
- cet article ne concerne que les propos non publics, circonstance de plus en plus rare à l’heure d’Internet et des communications électroniques ;
- cet article ne s’applique que lorsque la personne visée est chargée d’une mission de service public, et que les propos outrageants la visent dans le cadre de l’exercice de sa mission.
L’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 24 juin 2015 (2) constitue dans ce cadre une des rares applications de ce délit d’outrage pour propos non publics.
Les faits concernaient un individu ayant porté une appréciation particulièrement négative sur le physique et le travail de deux institutrices, les qualifiant de « grosse mémère » et de « fainéantes », ainsi que sur l’établissement scolaire concerné.
La Cour d’appel de Poitiers avait relaxé l’auteur des propos en se contentant de rappeler que l’outrage nécessite la démonstration de la volonté de l’auteur de voir les propos transmis à la personne visée.
La Haute Cour estime une telle motivation insuffisante et rappelle alors les deux critères sur lesquels les juges du fond doivent porter leur attention, qui sont en réalité les deux points sur laquelle cette même jurisprudence reste indécise.
Premièrement, les juges du fond doivent démontrer une atteinte à « l’autorité morale de la personne » : ce n’est pas une personne qui doit être visée, mais la personne en ce qu’elle est chargée d’une mission de service public. Les juges devront motiver que les propos ne visaient pas les personnes en tant que particuliers, mais bien en leur fonction d’institutrices.
Mais ce critère implique au préalable de déterminer ce que recouvre une mission de service public. Or, la définition de cette expression, pourtant récurrente en droit pénal, reste particulièrement incertaine : ainsi, des mandataires de justice sont chargés d’une mission de service public en cas de prise illégale d’intérêt (au sens de l’article 432-12 du Code pénal) (3)… mais pas lorsqu’il s’agit de leur appliquer la protection pénale renforcée en matière de diffamation (4).
Ce balancement peut s’expliquer en s’appuyant, non pas sur la lettre des articles, mais sur leur esprit : la Cour visant, en définitive, à protéger la « vertu » de l’Etat, elle étend le champ de la «mission » lorsque l’Etat est atteint dans sa réputation (comme en cas de prise illégale d’intérêt, la réputation de l’Etat étant ternie, et non en cas de question procédurale, bien qu’en matière de diffamation).
S’agissant d’institutrices, la Cour de cassation n’ajoute pas de critères particuliers, rappelant simplement la possibilité de se fonder soit sur la notion d’atteinte à l’« autorité morale » soit sur la diminution du « respect dû à la fonction », bien que l’on voit mal comment une diminution du respect de la fonction n’impliquerait pas une atteinte à l’autorité elle-même.
Deuxièmement, les juges du fond sont tenus de démontrer que l’auteur des propos avaient conscience – voire la certitude – que ces derniers allaient être rapportés à la personne visée.
Cette seconde condition peut être particulièrement difficile à caractériser, notamment si la personne ne connaissait pas exactement les qualités des destinataires de ses propos, et leurs éventuels liens avec la personne visée.
La Cour semble donc restreindre les cas où le délit d’outrage pourra être retenu, en exigeant que la personne sache que les propos seront « nécessairement » rapportés.
Il serait alors intéressant de transposer cette solution aux propos sur Internet : un commentaire sur un mur Facebook privé concernant une personne en charge d’une mission de service public (professeur, employé de préfecture, etc) pourrait-il être qualifié d’outrage dès lors que l’auteur sait que ses amis pourraient le liker, ce qui s’afficherait et alors rediffuser ses propos jusqu’à la personne concernée ?
Virginie Bensoussan-Brulé
Pierre Chaffenet
Lexing Droit pénal numérique
(1) C. pén. art. 433-5 Code pénal.
(2) Cass. crim. 24-6-2015 n°14-82890.
(3) Cass. crim. 26-9-2011 n°01-84565.
(4) Cass. mixte 4-11-2002 n°00-15087.