De multiples chantiers législatifs européens en cours. Depuis deux ans, six chantiers législatifs européens afférents au numérique ont été ouverts. Tout en ne se faisant pas d’illusions sur la possibilité de les faire tous adopter d’ici aux élections européennes de mai 2014, la Commission européenne est ainsi encline à présenter un maximum de propositions de directives ou de règlements comportant des mesures favorables aux citoyens.
Ces mesures portent notamment sur :
- un mécanisme pour l’interconnexion en Europe, visant à la mise sur pied d’infrastructures communes dans le domaine des télécommunications (1). Les crédits de cette initiative (initialement de 10,5 milliards d’euros) ont cependant été réduits de près de 90%. Les soutiens à des services d’avenir comme l’informatique en nuage, les réseaux intelligents (smart grids) et les services urbains (smart cities), qui figuraient dans la version initiale de la proposition de règlement (2), ont ainsi dû être abandonnés ;
- l’identification électronique et les services de confiance dans les transactions électroniques en ligne (3). D’ici à la fin de l’année 2013, pourrait être adopté un règlement concernant l’identification, l’authentification et la signature électronique garantissant l’existence de niveaux de sécurité harmonisés et la possibilité pour les États membres d’adopter des règles allant au?delà des règles européennes existantes afin de renforcer la sécurité des systèmes d’information ;
- l’accessibilité des sites web des administrations (4). Cette initiative assigne aux États membres de prendre les mesures nécessaires, d’ici au 31 décembre 2015, pour que les usagers (notamment les personnes en situation de handicap) soient davantage enclins à utiliser les services en ligne du secteur public ;
- la sécurité des réseaux et de l’information (cybersécurité) (5) ;
- la réduction du coût du déploiement du haut débit, en établissant un droit d’accès aux réseaux des opérateurs (obligations de transparence concernant les infrastructures existantes et coordination des travaux de génie civil) (6) ;
- un nouveau « paquet télécom » (7), complétant la réglementation actuelle (directives de 2002 révisées). Cette proposition est accompagnée d’une recommandation sur des obligations de non-discrimination et des méthodes de calcul des coûts cohérentes afin de promouvoir la concurrence et d’améliorer l’environnement des investissements en haut-débit.
Objectifs généraux. Présentée par la Commission européenne comme le texte phare de sa fin de mandat, la proposition de règlement de septembre 2013 comprend cinq mesures principales :
- premièrement, il s’agit de refondre le régime d’autorisation en créant une autorisation unique permettant aux opérateurs d’exercer leurs activités dans l’ensemble des 28 États membres, en s’inspirant de la règle du « passeportage » déjà appliquée dans le secteur bancaire et financier. Le retrait ou la suspension de cette autorisation unique UE serait contrôlé par l’État membre dans lequel est situé l’établissement principal (État membre d’origine) de l’opérateur bénéficiaire. L’autorisation unique UE devrait s’appliquer à toute entreprise qui fournit ou a l’intention de fournir des services ou d’exploiter des réseaux de communications électroniques dans plusieurs États membres, et ce, afin de réduire, voire de supprimer, les différences de traitement d’un Etat membre à un autre, créant ainsi, selon la Commission, un frein à l’européanisation des opérateurs qui restent, dans de nombreux cas, des acteurs purement nationaux ;
- deuxièmement, la proposition de règlement vise à renforcer la neutralité de l’internet. La définition proposée par la Commission est toutefois ambiguë et nécessiterait des précisions.
La proposition de règlement interdit le blocage et la limitation du contenu internet, en vue de garantir aux utilisateurs l’accès à un internet ouvert et sans restriction, indépendamment du coût ou de la vitesse prévus par leur abonnement. Le règlement définit les limites applicables aux éventuelles restrictions de la liberté des utilisateurs finaux d’accéder à l’information et au contenu légal, de diffuser des contenus, d’exécuter des applications et d’utiliser des services de leur choix par les fournisseurs de communications électroniques au public, mais il est sans préjudice d’autres dispositions législatives de l’Union telles que les règles en matière de droit d’auteur et la directive 2000/31/CE.
Les entreprises seraient toujours en mesure de fournir des « services spécialisés » à qualité de service garantie, tels que la télévision par internet (IPTV), la vidéo à la demande, certaines applications telles que l’imagerie médicale haute résolution, les salles d’opération virtuelles et les applications en nuage à haute intensité de données d’importance critique pour les entreprises, pour autant que ces services ne freinent pas les vitesses d’accès promises à d’autres clients. Les consommateurs auraient le droit de vérifier s’ils bénéficient réellement de la vitesse d’accès pour laquelle ils paient, et de renoncer à leur contrat si l’entreprise ne respecte pas ses engagements à cet égard ; - troisièmement, il est proposé d’harmoniser le droit de la consommation applicable en matière de télécommunications. Le règlement prévoit pour les consommateurs le droit à des contrats clairement rédigés contenant des informations plus comparables, des droits plus étendus en matière de changement de fournisseur ou de contrat, le droit à conclure un contrat de 12 mois si le client ne souhaite pas un contrat à durée plus longue, le droit de renoncer à son contrat si les vitesses d’accès annoncées ne sont pas respectées, et le droit d’opter pour une fonction de transfert des courriers électroniques vers une nouvelle adresse électronique après avoir changé de fournisseur d’accès à internet ;
- quatrièmement, et il s’agit là d’une proposition phare, la Commission européenne propose de supprimer les majorations dues à l’itinérance et applicables aux appels intra-Union européenne (frais de roaming). Les redevances d’itinérance applicables aux appels entrants lors de déplacements dans un autre pays de l’Union européenne devraient être supprimées à compter du 1er juillet 2014. La Commission prévoit, également, des mesures concernant le secteur de la téléphonie fixe en alignant les tarifs des appels intra-UE sur ceux des appels nationaux longue distance. Pour les appels mobiles intra-UE, le prix ne pourrait pas dépasser 0,19 euro à la minute (hors TVA) ;
- cinquièmement, le texte vise à renforcer la coordination de la gestion des fréquences en termes de calendriers, de durée et d’autres conditions concernant l’assignation des radiofréquences. Les États membres devraient conserver le droit d’adopter des mesures en vue d’organiser leur gestion du spectre radioélectrique à des fins d’ordre public, de sécurité publique et de défense et continueraient de bénéficier des redevances versées par les opérateurs de réseau mobile.
Incomplétude. La proposition de règlement de septembre 2013 suscite de vives critiques. En effet, cette proposition est principalement axée sur la régulation des réseaux et des infrastructures, dans la lignée de 15 années de politiques européennes marquées par quatre « paquets télécoms » successifs. Or, les enjeux stratégiques se situent désormais aussi du côté des plateformes de services, portes d’entrée privilégiées pour accéder à l’internet, domaine dans lequel les grandes entreprises internationales échappent actuellement à toute régulation.
Le numérique a une importance éminemment politique tout comme l’eurent, il y a une soixantaine d’années, le charbon et l’acier, lorsqu’il fut décidé de bâtir une communauté européenne pour gérer en commun ces deux secteurs. Aujourd’hui, l’action publique européenne devrait consister également à travailler sur le rééquilibrage des obligations et des profits dans la chaîne de valeur dans le domaine des TIC, sur l’établissement des conditions de concurrence équitables entre les services en ligne « over-the-top» et les services de télécommunications par un rapprochement des règles applicables, sur la convergence entre les services et marchés audiovisuels et des télécommunications, etc.
Frédéric Forster
Edouard Lemoalle
Lexing Droit Télécoms
(1) Proposition de règl. du 19-10-2011 établissant le mécanisme pour l’interconnexion en Europe ; Proposition modifiée de règl. du 28-5-2013 concernant des orientations pour les réseaux transeuropéens de télécommunications et abrogeant la décis. 1336/97/CE
(2) Proposition de règl. du 19-10-2011 concernant des orientations pour les réseaux transeuropéens de télécommunications et abrogeant la décis. 1336/97/CE
(3) Proposition de règl. du 4-6-2012 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur
(4) Proposition de dir. du 3-12-2012 relative à l’accessibilité des sites web d’organismes du secteur public
(5) Proposition de dir. du 7-2-2013 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l’information dans l’Union
(6) Proposition de règl. du 26-3-2013 relatif à des mesures visant à réduire le coût du déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit
(7) Proposition de règlement COM(2013) 627 final du 11-9-2013