Dans un arrêt du 27 novembre 2019 (n° 18-14675), la Cour de cassation tire les conséquences des principes dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne et rappelle l’obligation pour la juridiction saisie d’une demande de déréférencement d’une condamnation de vérifier si d’une part l’inclusion d’un lien litigieux dans la liste de résultats répond à un motif d’intérêt public important, et d’autre part si elle est strictement nécessaire pour assurer la préservation dudit intérêt.
Demande de déréférencement d’une condamnation accessible par plusieurs liens
En l’occurrence, un expert-comptable, qui avait été déclaré coupable d’escroquerie et de tentative d’escroquerie, a fait une demande de déréférencement du lien mentionnant sa condamnation pénale. Il soutenait en effet que les articles faisant état de sa condamnation étaient toujours accessibles par le biais d’une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom sur les moteurs de recherche en ligne, et que ce dernier n’ayant pas donné suite à sa demande. Il l’a donc assigné aux fins de déréférencement, demande dont il a été débouté par la Cour d’appel de Paris par un arrêt du 6 décembre 2017.
Réponses apportées par la Cour de justice de l’Union européenne
La Cour de justice de l’Union européenne ayant été, à la même période, saisie par le Conseil d’État de quatre requêtes, portant notamment sur le droit au déréférencement, la Cour de cassation a décidé dans un premier temps de surseoir à statuer dans l’attente des réponses apportées par la CJUE qui a rendu son arrêt le 24 septembre 2019 (Aff. C-136/17).
Se fondant sur les orientations apportées par la CJUE, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel au visa des articles 9, 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 et des articles 9 du Code civil et 809 du Code de procédure civile.
Conformément aux indications de la CJUE, les moteurs de recherche doivent faire droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web sur lesquels figurent des données à caractère personnel qui relèvent de catégories particulières (données de santé ou faisant état d’une condamnation). Elle précise que l’exploitant du moteur de recherches doit « vérifier, au titre des motifs d’intérêt public important (…), si l’inclusion de ce lien dans la liste de résultats, qui est affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom de cette personne, s’avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette page web au moyen d’une telle recherche, consacrée à l’article 11 de cette Charte ».
L’interdiction du traitement des données sensibles applicables aux moteurs de recherches
Dès lors, il apparaît que la CJUE considère que l’interdiction de traiter des données sensibles s’applique également aux moteurs de recherche. Elle a ainsi dégagé deux critères sur lesquels doivent s’appuyer les juridictions en cas de demande de déréférencement d’un lien faisant état de données particulières, compte tenu de la sensibilité de ces dernières : l’appréciation du bien-fondé de la demande d’une part, en vérifiant si l’inclusion du lien litigieux répond à un motif d’intérêt public, et vérifier d’autre part que la demande est strictement nécessairement pour assurer ledit motif.
La Cour de cassation relève qu’en l’espèce, pour analyser la demande de déréférencement d’une condamnation, la Cour d’appel s’était contentée de relever que le demandeur avait une profession s’inscrivant dans la vie publique et que dès lors l’intérêt des internautes, à pouvoir accéder à l’information relative à sa condamnation pénale, prévalait sur le droit à la protection des données à caractère personnel.
En l’occurrence, elle aurait dû, compte tenu de la gravité de l’ingérence dans les droits du demandeur au respect de sa vie privée et à la protection de ses données à caractère personnel, vérifier si l’inclusion des liens litigieux était strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes.
La Cour de cassation précise que dans le cas inverse, le trouble manifestement illicite de l’article 809 du code de procédure civile est caractérisé, et la voie du référé serait ainsi ouverte.
Les solutions dégagées par la CJUE permettront d’aiguiller à l’avenir les juridictions lorsqu’elles feront face à des demandes de déréférencement pour lesquelles des données particulières seront en jeu.
Marie Soulez
Lexing Département Propriété intellectuelle contentieux
Raphaël Liotier
Chloé Perruchot
Lexing Contentieux du numérique