La commission des sanctions de l’Agence française anticorruption a rendu deux décisions qui apportent des enseignements sur les dispositifs de mise en conformité.
L’AFA, Agence française anticorruption est une création de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II » (1). Cette agence aide à détecter et à prévenir les manquements au devoir de probité au niveau national. Elle est dirigée par un magistrat nommé par décret du Président de la République, et comprend une commission des sanctions.
Cette commission des sanctions a rendu deux premières décisions de portée similaire. Il s’agit des affaires S SAS du 4 juillet 2019 (2) et I. et M. C. K. du 7 février 2020 (3).
Dans ces deux cas, la commission des sanctions s’est prononcée, suite à une procédure de contrôle diligentée par l’AFA dans des entreprises, sur l’existence de manquements aux dispositifs de mise en conformité (de l’anglais compliance) prévus par l’article 17 de la loi Sapin II.
Ces deux décisions apportent des précisions importantes tant sur la forme que sur le fond, qui touchent au partage des compétences entre le directeur de l’AFA et la commission des sanctions, ainsi qu’à l’administration de la preuve par le directeur de l’AFA et l’entreprise contrôlée.
Les enseignements de commission des sanctions sur le plan de la procédure de contrôle de conformité et de sanction
Les premiers enseignements des décisions en cause ont trait à la délimitation de la saisine de la commission des sanctions de l’AFA. Sur ce point, la décision du 7 février 2020 rappelle très clairement que la loi distingue, au sein de l’AFA, les fonctions exercées par le directeur de l’agence de celles de la commission des sanctions.
Le directeur de l’AFA est le seul à pouvoir engager les poursuites et à en déterminer le périmètre. Son avis, qui constitue l’acte de saisine de la commission, est donc un préalable obligatoire à toute procédure.
Ainsi, seuls les griefs relevés dans le rapport définitif et repris dans l’avis du directeur, lequel est communiqué pour observations au mis en cause, seront retenus devant la commission des sanctions. La décision du 4 juillet 2019 précise que les griefs figurant dans le rapport définitif mais non repris dans l’avis du directeur doivent être considérés comme abandonnés.
En outre, ces deux décisions rappellent que le directeur est tenu à une obligation de précision dans l’énoncé des griefs, puisque ceux-ci fixent l’étendue de la saisine. Ainsi, les griefs doivent être formulés dans des termes suffisamment clairs pour qu’il n’existe aucun doute sur leur contenu et leur portée.
Toutefois, la décision du 7 février 2020 considère que cette obligation de précision ne doit pas être appréciée au seul regard de la notification par le directeur, mais au regard de l’ensemble de la procédure, pour vérifier que les droits de la défense ont pu être exercés correctement. Enfin, cette même décision précise que le fait que l’avis du directeur requiert le prononcé d’une sanction pour l’inexécution d’une injonction, alors que cela n’est pas prévu par la loi, ne constitue pas un vice de procédure.
Un autre enseignement des décisions en cause réside dans la compétence de la commission des sanctions de l’AFA. La commission dispose d’un pouvoir exclusif pour prononcer des sanctions, que ce soit des injonctions ou une sanction pécuniaire. Elle n’est en aucun cas liée par l’avis du directeur de l’AFA, la loi prenant bien soin de distinguer les deux fonctions.
La commission des sanctions déclare dans la décision du 4 juillet 2019 qu’elle n’est pas compétente pour se prononcer sur d’éventuelles irrégularités de procédure. Elle n’est compétente que pour se prononcer sur les manquements aux dispositifs de conformité prévus à l’article 17. Toutefois, ces manquements doivent perdurer au jour où la commission des sanctions statue.
Si le manquement a été réparé au jour de l’audience, il ne pourra plus être sanctionné. Toutefois, la décision rappelle que dans le cadre des contrôles sur pièces et sur place, il est possible de solliciter des documents se rapportant à une période antérieure à la loi Sapin II, dès lors que ceux-ci sont « utiles » pour contrôler le risque de corruption.
Les enseignements sur le plan du dispositif de conformité
Les derniers enseignements des deux décisions portent sur l’administration de la preuve. Les recommandations de l’AFA n’ont pas de valeur contraignante.
Pour autant, l’agence incite les entreprises à s’y conformer. Or, cette absence de caractère contraignant a nécessairement des conséquences sur l’administration de la preuve.
Ces deux décisions distinguent deux hypothèses. D’une part, si la société contrôlée affirme avoir suivi les recommandations de l’AFA, elle est présumée satisfaire aux exigences légales, et il revient au directeur de l’AFA de prouver le contraire. D’autre part, si la société déclare ne pas avoir suivi les recommandations ou allègue ne les avoir suivis que partiellement, elle doit démontrer « la pertinence, la qualité et l’effectivité du dispositif » qu’elle aura librement choisi de suivre.
Bien qu’il appartienne au directeur de l’AFA de démontrer les manquements reprochés, l’entreprise contrôlée est tenue d’apporter les éléments dont elle est seule à disposer et qui permettent d’apprécier l’effectivité des mesures mises en œuvre dans le cadre de son plan de conformité.
Virginie Bensoussan-Brulé
Lexing Contentieux numérique
Cyrielle Girard-Berthet
Auditrice de justice de la promotion 2020
Ecole Nationale de la Magistrature
(1) Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II ».
(2) Décision n° 19-01 Société S SAS et Mme C. du 4 juillet 2019.
(3) Décision n° 19-02 Société I. et M. C. K. du 7 février 2020.