Bertrand Thoré – Dans le cadre du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises, présenté le 4 septembre dernier, le Ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, a prévu différentes mesures visant à favoriser le développement du financement participatif.
Le financement participatif (« crowdfunding ») est une branche de l’économie collaborative en forte progression, dédiée au financement de projets et fondée sur la participation financière, peu élevée en général, de nombreux individus réunis par un intérêt commun sur un site web communautaire (plate-forme) qui prend en charge la promotion des projets, le recueil des fonds et peut accompagner les porteurs de projet.
La crise économique et financière de 2007 ayant renforcé les difficultés d’accès au crédit pour les PME, ce mode de financement alternatif s’est développé dans le cadre de l’essor de l’économie collaborative (partage de logements, de moyens de transports, de produits, échanges, achats groupés, etc.), pour favoriser la création de micro-entreprises, l’amorçage de projets innovants, ou la mise en œuvre d’actions de solidarité.
Ce mode de financement permet de soutenir des projets qui auraient eu des difficultés à attirer les capitaux des investisseurs classiques (banques, « Business Angels ») soit parce que le projet est en phase d’amorçage et n’est pas encore suffisamment structuré, soit parce que le montant recherché est trop faible, soit parce que son intérêt repose sur son originalité, sa créativité ou la solidarité et pas seulement sur sa rentabilité financière.
Le crowdfunding répond à différents objectifs, tels que le financement de micro-projets d’entreprise et l’aide à la création de start-up (Funding Circle, Kickstarter, Smartangels, kisskissbankbank, Anaxago, Lending Club, Zentreprende, Babeldoor, Wiseed, Octopousse, etc.), l’aide à la production artistique et audio-visuelle (Sandawe, My Major Company, My Show Productions, Ulule, etc.), le crédit à la consommation entre particuliers (Prosper, Zopa, Prêt d’Union, etc.), le micro-crédit solidaire (Microplace, Babyloan, Microworld, Entrepreneurs du Monde, etc.) ou la solidarité pure (First Giving, Mail for Good, etc.).
Le financement peut s’effectuer selon différents mécanismes : l’achat par anticipation, le prêt entre particuliers ou de particuliers à entreprises, l’investissement en capital, le don avec ou sans contrepartie, etc.
Ces mécanismes relèvent de différents régimes juridiques classiques, généralement établis pour le secteur financier traditionnel et pas toujours adaptés à ces modes de financement dont le succès repose sur l’accessibilité. Certaines activités évoluent dans un certain vide juridique (comme le prêt des particuliers aux entreprises) ou se trouvent confrontées à des problématiques propres au droit de l’internet (sécurité, territorialité, fiscalité, protection des consommateurs, etc.).
Le projet de loi envisage donc d’établir un cadre juridique (plus) sécurisé pour le crowdfunding, à travers quatre mesures :
- la création du statut de conseiller en investissement participatif, qui permettra à cette activité d’échapper aux exigences de la réglementation des prestataires de services d’investissements tout en définissant les incompatibilités avec d’autres activités financières ;
- l’adaptation du régime et du périmètre des offres de titres de sociétés au public, notamment en vue d’alléger les obligations en matière de communication préalable (prospectus) ;
- l’établissement d’une dérogation au monopôle bancaire pour autoriser l’octroi de prêts par les personnes physiques, sous certaines conditions, notamment de montant ;
- la réduction des exigences requises en matière de services de paiement, pour les plates-formes de crowdfunding.
Le gouvernement souhaite obtenir l’accord du Parlement pour adopter ces mesures par voie d’ordonnances. Dans l’attente de l’adoption de ce projet, la concertation se poursuit avec les autorités de régulation financières et avec le marché, sur la mise en œuvre de ces mesures.
Concertation et régulation deviennent en effet nécessaires pour accompagner le développement du crowdfunding, profitable pour une frange de l’économie habituellement délaissée par les acteurs traditionnels. Un cadre réglementaire adéquat permettrait entre outre de définir clairement les frontières entre les différentes activités et ainsi de limiter les possibilités de distorsion de la concurrence entre ce secteur de l’économie collaborative et le secteur financier traditionnel.
Compte tenu du faible montant des financements et des spécificités des projets financés, le crowdfunding ne semblait pas à l’origine susceptible de gêner le secteur traditionnel. Aujourd’hui, le phénomène semble prendre une ampleur importante : le volume des fonds collectés dans le monde a été estimé à plus de 2,7 milliards de dollars en 2012, en augmentation de l’ordre de 80 % par rapport à 2011 (1,5 Mds), pour plus d’un million de projet et par l’intermédiaire de plus de 500 plates-formes (1).
Le périmètre du crowdfunding tend par ailleurs à s’étendre à de nouveaux acteurs et à de nouvelles activités.
Compte tenu de ce développement et du caractère transfrontalier d’une partie des projets, la mise en place d’une réglementation au niveau européen paraîtrait souhaitable. Des discussions sur le sujet sont en cours au niveau de l’Union Européenne et le Gouvernement français semble vouloir les accélérer en prenant cette initiative.
Bertrand Thoré
Lexing Economie juridique
(1) « 2013 CF Crowdfunding report », MassSolution 2013.