Pierre-Yves Fagot – Dans leur rapport remis le 17 janvier 2013 (1), Monsieur Pierre Collin, Conseiller d’Etat, et Monsieur Nicolas Colin, Inspecteur des finances, après un diagnostic de la situation, formulent diverses propositions sur la création d’une fiscalité de l’économie numérique.
Diagnostic – Le point commun à toutes les grandes entreprises de l’économie numérique est l’intensité de l’exploitation des données, notamment des données personnelles, leur permettant de personnaliser les services rendus, de recommander des achats à leurs utilisateurs et de soutenir des efforts d’innovation donnant naissance à d’autres applications.
La collecte « gratuite » de ces données sans contrepartie monétaire caractérise également les grandes entreprises de l’économie numérique. Cette absence de contrepartie monétaire à l’activité des utilisateurs explique les gains de productivité spectaculaire de cette économie, puisque les utilisateurs « travaillent » gratuitement sans que les Etats où ils résident ne bénéficient de recettes fiscales.
Même si l’économie numérique n’est pas seule à pratiquer l’optimisation fiscale, les entreprises de l’économie numérique ont plus de facilité à tirer profit de la concurrence fiscale à laquelle se livrent les Etats, puisque cette économie :
- transfert plus facilement ses bénéfices dans des paradis fiscaux, en y rémunérant des actifs incorporels ;
- étend ses activités partout dans le monde pour faire « travailler » ses utilisateurs et concentrer l’activité dont elle tire ses revenus sur les territoires où il est plus facile de transférer des bénéfices vers des paradis fiscaux ;
- s’organise, en vue de tirer le meilleur parti des différences des systèmes fiscaux entre les Etats, notamment par le choix de celui où elles établissent leur siège social.
En conséquence, le droit fiscal, national et international, est aujourd’hui inadapté à cette nouvelle économie qu’il s’agisse de la fiscalité directe (impôt sur les sociétés, cotisations sur la valeur ajoutée) ou de la fiscalité indirecte (TVA). En effet, le droit fiscal international attribue le pouvoir d’imposer les bénéfices à l’Etat dans lequel l’entreprise a son siège social plutôt qu’à celui dans lequel elle exerce son activité (convention modèle OCDE).
Il n’est fait exception à cette règle qu’en présence d’un établissement stable sur un territoire autre que celui du siège social, mais la définition de l’établissement stable, qui suppose la présence de locaux et de personnels, est inadaptée à l’économie numérique. A cet égard, ni l’Union européenne ni l’OCDE ne tiennent compte de la spécificité de l’économie numérique.
Le bilan est un peu plus positif pour la TVA, du fait de la modification des règles de territorialité au profit du pays de consommation, mais ces nouvelles règles s’appliqueront de façon progressive jusqu’en 2009 et toutes les difficultés techniques ne sont pas à ce jour résolues.
Par ailleurs, les premières tentatives de création d’une fiscalité propre à l’économie numérique dans le cadre strictement national ont manqué leur cible. Il est donc urgent d’agir, sachant que l’économie numérique intervient en réalité dans tous les secteurs de l’économie, qu’elle continuera à se développer et qu’elle ne créera pas d’emplois.
Propositions – A partir de ce diagnostic, le rapport formule trois propositions sur la fiscalité de l’économie numérique.
Proposition n°1 : Imposer les bénéfices réalisés sur les territoires par les entreprises de l’économie numérique. Cette imposition suppose une modification du droit fiscal pour que l’impôt sur les sociétés appréhende les bénéfices de l’économie numérique. Cependant, ce résultat ne peut être obtenu de manière isolée et exige d’entamer des négociations tant au niveau de l’Union européenne (UE) que de l’OCDE pour obtenir la modification des règles de la répartition du pouvoir d’imposer, ce qui passe par une définition de l’établissement stable propre à l’économie numérique.
Cette définition devra prendre en considération le rôle central joué par les « données » et le « travail gratuit » des utilisateurs, actuellement non pris en compte. L’objectif de ces négociations est de pouvoir identifier un établissement stable lorsque « l’entreprise exerce une activité sur le territoire d’un Etat au moyen de données issues du suivi régulier et systématique des internautes sur ce même territoire ». En conséquence, la quote-part des bénéfices liée à l’exploitation de ces données diminuera les transferts liés à la rémunération des actifs incorporels localisés à l’étranger.
Proposition n°2 : En attendant l’issue de ces négociations, il est préconisé la création d’une fiscalité liée à l’exploitation des données issues du « suivi régulier et systématique » de l’activité des utilisateurs sur le territoire. La proposition qui prendrait la forme d’une taxe (« taxe Google ») ne consiste pas à imposer la « collecte » des données en tant que telles, mais d’instituer, vis-à-vis des entreprises qui pratiquent « un suivi régulier et systématique de l’activité de leur utilisateur » une taxe similaire à celle prévue en matière de fiscalité environnementale sur le principe du « pollueur-payeur ».
Proposition n°3 : Créer un environnement fiscal favorable à l’émergence d’entreprises nouvelles en réformant la fiscalité de la recherche et développement et le financement par le marché, notamment en :
- adaptant la définition de la recherche et développement aux caractéristiques de l’économie juridique ;
- réformant et simplifiant les principaux dispositifs (crédit d’impôt recherche et statuts de la Jeune entreprise innovante) ;
- incitant au développement du financement de l’économie numérique par le marché.
Ce rapport préconise, donc, que les Etats retrouvent le pouvoir d’imposer les bénéfices issus du « travail gratuit » des internautes par :
- l’ouverture de négociations sur le droit fiscal international ;
- la mise en place d’une fiscalité nationale tenant compte de cette situation mais, également, favorable au développement de l’économie numérique sur le territoire.