Au-delà de l’esthétique, le design de commerce est générateur de valeur protégeable par la propriété intellectuelle.
Capitale du design, labellisée French Tech / Design Tech, la Ville de Saint-Etienne met à l’honneur le design de commerce avec la nouvelle édition de son concours CommerceDesign.
Loin de se limiter aux seuls objets, le design recouvre aujourd’hui une dimension sociétale dont les points de vente sont partie intégrante. En effet, l’agencement d’un magasin constitue pour l’entreprise un outil supplémentaire de différenciation. Il permet d’attirer et de fidéliser la clientèle grâce à une identité propre, une ambiance particulière ou une approche nouvelle dans l’offre de produits ou de services.
C’est dans ce contexte que la commune de Saint-Etienne organise la nouvelle édition du concours CommerceDesign. Ce dernier a pour objet de récompenser les commerçants stéphanois pour l’aménagement intérieur et extérieur de leur commerce. Quatre catégories de prix sont prévues : design de boutique, design de produit, design de service et design digital.
Mais au-delà de la récompense honorifique, l’agencement particulier d’un magasin est généralement le fruit d’investissements humains, matériels et financiers, source d’une valeur économique qui doit pouvoir être protégée.
A défaut, l’entreprise comme le concepteur de l’aménagement prennent le risque que des concurrents s’en inspirent voire le copient pleinement. L’occasion de faire le point sur les différents droits de propriété intellectuelle applicables au design de commerce.
Design de commerce et droit d’auteur
Le droit d’auteur protège toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination (CPI art. L.112-1). Il peut s’agir, par exemple, d’œuvres de dessin, de peinture ou d’architecture, d’œuvres graphiques, d’œuvres des arts appliqués, ou encore de plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à l’architecture (CPI art. L.112-2). Cependant, pour être protégée par le droit d’auteur, une œuvre de l’esprit doit respecter deux conditions : être originale et être fixée sous une forme tangible.
En premier lieu, l’œuvre doit être originale c’est-à-dire être marquée de l’empreinte de la personnalité de son auteur (1). Cette condition suppose que l’œuvre soit le fruit de l’imagination de son auteur, ou traduise des choix personnels réalisés librement, dans un but purement esthétique ou ornemental. Il s’agit d’une condition subjective, appréciée au cas par cas. Aussi, ne sont pas protégeables au titre du droit d’auteur, les créations dictées par des contraintes fonctionnelles ou techniques (2).
En second lieu, l’œuvre doit être fixée sous une forme tangible (CPI art. L.111-2). Le droit d’auteur ne protège pas les simples idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés (3).
En matière de design de commerce, les tribunaux ont pu reconnaître l’existence de droits d’auteur sur un agencement de magasin « qui au regard des autres styles d’agencement produits, exprime une certaine singularité laquelle témoigne de l’empreinte de son auteur et, partant, de son originalité » (4).
A l’inverse, la Cour de cassation a dénié toute protection par le droit d’auteur au concept d’aménagement des magasins d’optique Alain Afflelou. Ce concept était matérialisé dans le cahier des charges des commerçants franchisés. Selon la Cour de cassation, les prescriptions et dessins produits se réduisaient à des principes généraux sans indications suffisamment concrètes et précises. Aussi, la planche illustrative de la façade était dépourvue d’originalité et la représentation de l’aménagement intérieur trop imprécise et partielle (5).
Mais si la protection du design de commerce par le droit d’auteur reste sujette à interprétation, elle ne peut être exclue dès lors que son propriétaire est en mesure d’en caractériser l’originalité.
Ainsi, par arrêt du 16 mars 2017, la Cour d’appel de Douai a reconnu des droits d’auteur sur l’agencement des magasins Kiko caractérisé par « une combinaison originale de formes et de teintes, précisément définie qui relève d’un parti pris esthétique et révèle un effort créatif démontrant bien la personnalité de son auteur et atteste de la recherche d’une configuration particulière, se distinguant des agencements pouvant appartenir au même style et de la mise en œuvre de simples savoir-faire » (6).
Cette protection permet à la société Kiko d’obtenir des mesures d’interdiction et de réparation à l’encontre du concurrent qui avait indélicatement cherché « à produire une même impression d’ensemble que le décor mis en place dans le cadre de l’agencement Kiko, les ressemblances relevées correspondant bien aux caractéristiques essentielles de la création réalisée par la société Kiko ».
Design de commerce et dessins & modèles
Dans la logique du droit d’auteur, le dépôt des dessins & modèles portant sur l’agencement propre et nouveau d’un magasin peut logiquement être envisagée.
Le dépôt de dessin ou de modèle, qui tend à protéger « l’apparence d’un produit, ou d’une partie de produit, caractérisée en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux » sous réserve de sa nouveauté et de son caractère propre (CPI art. L.511-1 et L.511-2).
Bien que le législateur vise ici un « produit », les tribunaux ont pu admettre que cette définition « inclut dans une acception large toute forme apparente possible d’un objet à la condition qu’elle soit, notamment, perceptible, identifiable et identifiée » (4). Cette interprétation extensive permet dès lors d’inclure, dans le champ de protection des dessins & modèles, les modèles d’agencement.
Une telle protection présente l’intérêt de pouvoir bénéficier de la théorie dite de « l’unité de l’art » qui permet de bénéficier d’une double protection par le droit d’auteur et par le droit des dessins & modèles. Un tel dépôt présente en outre l’avantage, par rapport au droit d’auteur, de bénéficier d’une date certaine de divulgation et d’une présomption de validité du titre accordé.
Pour autant, ce dépôt devra être effectué avec précaution. En dans la mesure où, si un même dépôt peut comporter plusieurs dessins ou modèles, chaque reproduction ne peut porter que « sur un seul objet et ne représenter que celui-ci, à l’exclusion de tout autre objet, accessoire, personne ou animal » (CPI art. R. 512-3). Cette contrainte peut être délicate à mettre en œuvre s’agissant de la protection de l’agencement global d’un magasin dont le caractère propre peut ne résulter que de la combinaison d’éléments multiples.
En outre, la protection ne pourra porter que sur les éléments d’apparence du modèle déposé, à l’exclusion de ces éléments fonctionnels : ainsi, doit être annulé le modèle de vitrine dont le caractère propre est exclusivement fonctionnel et nécessaire à l’architecture de celle-ci (7).
Design de commerce et droit des marques
Moins évidente, la protection peut également être envisagée sous l’angle du droit des marques.
La marque est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits et services d’une personne physique ou morale. Il peut s’agir d’un signe figuratif voire tridimensionnel, notamment de la forme d’un produit ou de son conditionnement, ou de la forme caractérisant un service (CPI art. L.711-1).
Cependant, un signe n’est protégeable par le droit des marques qu’à la condition d’être distinctif des produits et services visés. Le signe ne doit donc être ni nécessaire, ni générique, ni usuel, ni descriptif des produits et services visés, et permettre au public pertinent de rattacher ces produits ou services à une origine déterminée (8).
C’est sans doute là le point le plus délicat à appréhender dans le cadre de la protection du design de commerce.
Ainsi, après cinq années de procédure, la société Sephora a vu définitivement annulée la marque tridimensionnelle par laquelle elle entendait protéger l’agencement de ses parfumeries. En effet, par arrêt du 11 janvier 2000 (9), la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt prononçant la nullité de sa marque (Marque française n°93491224).
Elle retient que la cour d’appel a légalement justifié sa décision en rappelant que si « la protection à titre de marque de la forme caractéristique d’un bâtiment dans lequel on propose le service désigné au dépôt est légalement possible dès lors que cette forme est précise et arbitraire pour désigner le service en cause », tel n’est pas le cas du signe reproduisant « l’intérieur d’un magasin avec de très nombreux éléments, sans qu’on puisse déterminer lesquels d’entre eux seraient distinctifs pour désigner des services de conseils aux particuliers en matière de parfumerie » (10).
S’il est vrai que le signe déposé n’apparaissait pas des plus clairs, les contraintes techniques associées au dépôt de la marque peuvent parfois rendre difficile la représentation, dans ses détails, de l’agencement à protéger et partant, de ses éléments distinctifs.
Néanmoins, par arrêt du 10 juillet 2014 (11), la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a indiqué que « la représentation, par un simple dessin sans indication de taille ni de proportions, de l’aménagement d’un espace de vente de produits peut être enregistrée comme marque pour des services consistant en des prestations qui sont relatives à ces produits mais ne font pas partie intégrante de la mise en vente de ceux-ci, à condition qu’elle soit propre à distinguer les services de l’auteur de la demande d’enregistrement de ceux d’autres entreprises (…)».
L’affaire concernait une marque tridimensionnelle déposée par la société Apple Inc.. Cette marque représentant un magasin, avait été déposée pour des « services de commerce de détail relatifs aux ordinateurs, logiciels, périphériques, téléphones portables, électronique grand public et accessoires et démonstration de produits y relatifs » en classe 35 :
La CJUE précise qu’il « ne saurait être exclu que l’aménagement d’un espace de vente visualisé par un tel signe permette d’identifier les produits ou les services pour lesquels l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée » et que « tel peut être le cas lorsque l’aménagement visualisé diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur économique concerné ».
Les entreprises ont donc tout intérêt à déposer la façade ou l’agencement de leur magasin à titre de marque. Certaines l’ont déjà fait comme le Crédit Agricole, qui a déposé un dessin représentant une agence bancaire (n°13/3978651) :
De même, Loisirs & Créations a déposé le comptoir présent au sein de ses magasins (n°96650676) :
Plus récemment, Alain Afflelou, précédemment déboutée sur le fondement de la protection par le droit d’auteur (cf. supra), a déposé le graphisme de ses magasins (n°15826861) :
Design de commerce et concurrence déloyale
Indépendamment de la protection par les droits de propriété intellectuelle, l’imitation ou la copie servile d’un agencement de magasin pour ouvrir droit à une action en concurrence déloyale ou parasitaire. Cette action peut être exercée en même temps ou en substitution d’une action fondée sur un droit de propriété intellectuelle.
Cependant, le demandeur doit démontrer que le défendeur a commis un acte de concurrence déloyale. C’est le cas si le défendeur a imité l’agencement du magasin créant ainsi un risque de confusion entre eux.
Il peut également démontrer que le défendeur a commis un acte de parasitisme. C’est le cas s’il s’inspire ou copie l’agencement du magasin afin de tirer profit, sans rien dépenser, des efforts, investissements ou notoriété du demandeur.
C’est ainsi qu’outre une condamnation au titre de la contrefaçon de droit d’auteur, la société de cosmétiques Kiko a obtenu la condamnation de son concurrent sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, la Cour d’appel de Douai retenant que ce dernier avait, par ses agissements, bénéficié de la notoriété et de l’attractivité de la société Kiko : « Elle s’inscrit dans le sillage de la société Kiko et tente de capter sa clientèle, en profitant tant des efforts intellectuels que financiers réalisés par cette dernière en vue de mettre en place son concept distinctif, le privant en outre de sa singularité et banalisant la spécificité de son concept » (6).
Virginie Brunot
Justine Ribaucourt
Lexing Droit Propriété industrielle
(1) Cass. 1e civ., 30-6-1998, n°96-15.151.
(2) Cass. crim., 16-6-2009, n°08-87.193.
(3) Cass. 1e civ., 16-1-2013, n°12-13.027.
(4) CA Paris, 4e ch. sect. B, 23-5-2008, RG n°06/18874, Inpi.fr ref. D20080082.
(5) Cass. com., 17-6-2003, n°01-17.650.
(6) CA Douai 2e ch. 2e sec., 16-3-2017, n°15-03286, Dalloz.fr.
(7) TGI Paris, 3e ch. 1e sec., 6-11-2007, RG n°04/03229, Inpi.fr
(8) Cass. com., 6-1-2015, n°13-17.108.
(9) Cass. com., 11-1-2000, n°97-19.604.
(10) V. Brunot, « Apple Store ou la définition extensive de la marque… », www.lexing.law 1-2-2013.
(11) CJUE, 10-7-2014, Apple Inc c. Deutsches Patent und Markenamt, Aff. C-421/13.