Protéger les algorithmes, valeur économique essentielle de notre société, par le droit d’auteur, une piste à explorer. Les algorithmes représentent une valeur économique essentielle dans notre société moderne et leur autonomie grandissante bouleverse nos fondamentaux juridiques. Le droit d’auteur résistera-t-il ainsi à la puissance créatrice des algorithmes ou fera-t-il preuve de flexibilité comme pour le logiciel ? Décryptage et enjeux.
La notion d’algorithme, une notion complexe
Notion complexe, il est pourtant essentiel de la définir pour mieux protéger les algorithmes. Dans une approche purement sémantique, le dictionnaire Larousse définit l’algorithme comme un « ensemble de règles opératoires dont l’application permet de résoudre un problème énoncé au moyen d’un nombre fini d’opérations. Un algorithme peut être traduit, grâce à un langage de programmation, en un programme exécutable par un ordinateur » (1).
Au plan législatif, la loi pour une République numérique introduit la notion d’algorithme pour définir la plateforme. La plateforme y est ainsi définie comme un service de communication au public en ligne reposant notamment sur « le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers » (2).
Dans une approche plus économique, le terme algorithme est utilisé pour désigner « une pluralité de créations immatérielles développées par les acteurs de l’économie numérique » (3). Si la tendance est donc à la prise en compte progressive de l’algorithme en tant qu’actif immatériel, il n’en demeure pas moins que sa protection juridique reste aujourd’hui indirecte ou faible.
Problématiques actuelles
Certains parlent de « gouvernance des algorithmes » ou « domination des calculs » ; les algorithmes régentent nos vies et représentent aujourd’hui une valeur économique incontestable. L’algorithme est à l’origine même des plateformes digitales, des logiciels applicatifs, des objets connectés, du marketing prédictif ou encore du big data.
D’hier à aujourd’hui, l’histoire du numérique a été guidée par quatre grandes révolutions : la révolution informatique, la révolution des télécoms, la révolution de l’internet et enfin la révolution « robot ». Le robot fonctionne par le biais d’algorithmes dont la puissance a conduit au développement d’une nouvelle génération, la génération des algorithmes non supervisés. C’est cette génération qui va être en mesure de créer, de comprendre, de découvrir par elle-même indépendamment de l’intervention humaine.
Pourquoi protéger les algorithmes ?
En tant que sources de richesse, il est nécessaire de protéger cet actif au-delà de la protection actuelle indirecte et insuffisante. En effet, l’algorithme peut se voir protéger indirectement par le biais du logiciel en cas d’incorporation, le droit des brevets par intégration à une invention brevetable ou le secret des affaires par voie contractuelle. Face à cette protection juridique parcellaire et indirecte, il convient d’envisager un cadre juridique spécial à travers le droit d’auteur pour les algorithmes en tant que tels mais aussi pour leurs créations.
L’histoire nous a montré que le droit d’auteur malgré de forte résistance a su évoluer avec son temps ; la protection du logiciel en étant une parfaite illustration. Ainsi, la flexibilité du droit d’auteur apparait le vecteur idéal pour protéger les algorithmes qui sont l’une des créations immatérielles les plus valorisées de notre temps. La question est désormais de déterminer les conditions d’une telle protection.
Comment protéger les algorithmes par le droit d’auteur ?
Pour qu’une œuvre soit éligible à la protection du droit d’auteur, plusieurs conditions doivent nécessairement être remplies, à savoir une forme d’expression originale, surtout créée par un auteur. La question est donc double : d’une part, celle relative à la qualification d’auteur et d’autre part, celle relative à la protection de l’œuvre.
Un robot peut-il être qualifié d’auteur ?
La question est loin d’être étonnante si l’on prend en compte la place croissante des robots dans le processus créatif. Le panorama de la scène artistique est aujourd’hui saisissant entre E-David, robot peintre ou Benjamin, robot scénariste. Le monde artistique ne semble donc plus uniquement réservé aux créateurs humains mais s’ouvrir également aux robots-créateurs. En somme, le robot-créateur apparait un auteur comme un autre (4).
Pourtant, le droit d’auteur français tel qu’existant aujourd’hui ne réserve de droits qu’aux personnes physiques. En effet, seul « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » (5). En France, cette limite a été confirmée en jurisprudence (6). Aux Etats-Unis, la question s’était également posée à la suite d’une photographie prise par un singe. Le Copyright Office américain avait à ce titre rappelé que seul un être humain peut être qualifié d’auteur (7).
Cette approche apparait inadéquate au regard des évolutions technologiques conduisant à une autonomie de plus en grande des robots. Le rapport Mady Delvaux reflète d’ailleurs parfaitement ces évolutions en reconnaissant « qu’un cadre légal en matière de robotique est nécessaire » (8). Ce rapport démontre une évolution significative tendant vers la reconnaissance de la personnalité-robot.
Protéger les algorithmes, œuvres de la personne robot
Deux facteurs plaident en faveur de la personnalité-robot, l’un est objectif, l’autre subjectif. En effet, il est vrai qu’aujourd’hui, les avancées technologiques sont telles que le robot intelligent dépasse souvent l’être humain. Tel est le cas au jeu de go, au jeu d’échec, au poker ou encore Watson gagnant au jeu télévisé Jeopardy (9). L’intelligence artificielle conduit également au développement de robots agissant par conduite non supervisée. Deux intelligences artificielles, Alice et Bob, ont par exemple échangés avec leur propre langage crypté indéchiffrable par l’homme (10). Autrement appelée le Deep Learning, de cet apprentissage profond découle une certaine autonomie qui va permettre aux robots d’être de véritables créateurs.
D’un point de vue subjectif, il faut le reconnaitre un robot-artiste a la capacité de créer la même émotion chez un être humain qu’un artiste lui-même. L’un des exemples les plus flagrants est celui du test Turing Deepart io. Le test est simple : déceler pour l’internaute qui entre le robot ou l’artiste a peint le tableau. Or, à l’issue de ce test, il apparaît clairement que l’être humain a difficilement différencié l’œuvre du robot-artiste de l’œuvre de l’artiste.
Dans ce contexte, la reconnaissance de la personnalité robot pourrait apparaitre comme la solution à privilégier, l’autonomie du robot étant la clé. Ainsi, la personnalité juridique comprendrait trois régimes : un régime général avec l’homme et la femme, un régime particulier avec la personne morale et un régime singulier avec le robot.
Protéger les algorithmes en tant qu’œuvres originales
Si le robot peut ainsi avoir des droits, pourquoi ne pourrait-il pas bénéficier de la protection du droit d’auteur?
Classiquement, le droit d’auteur protège tout œuvre originale quel qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination (11). Deux conditions sont donc essentielles pour que la création soit éligible à la protection du droit d’auteur : une forme d’expression et l’originalité.
Il est de doctrine et de jurisprudence constantes, que les idées et principes abstraits à la base du processus créatif ne sont pas protégeables par le droit d’auteur. Les idées sont dites de « libre parcours » et ne peuvent faire l’objet d’une appropriation ou d’un droit privatif. Cette règle est d’ailleurs posée par la directive européenne relative à la protection juridique des programmes d’ordinateur, qui énonce que « seule l’expression d’un programme d’ordinateur est protégée et que les idées et les principes qui sont à la base des différents éléments d’un programme, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d’auteur (…). En accord avec ce principe du droit d’auteur, les idées et principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation ne sont pas protégés (…) » (12).
Le texte n’exclut pas expressément du champ de protection du droit d’auteur les algorithmes en tant que tels, mais « les idées et principes » qui sont à la base des algorithmes. Toutefois, l’article 2 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur ainsi que l’article 9.2 des Accords ADPIC précisent dans les mêmes termes que « la protection du droit d’auteur s’étendra aux expressions et non aux idées, procédures, méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels ».
Protéger les algorithmes une fois juridiquement qualifiés
En application des définitions susmentionnées, les algorithmes peuvent être qualifiés juridiquement, soit de méthode, soit de principe mathématique ou encore d’idées à forte valeur économique. C’est cette valeur économique qui doit aujourd’hui être protégée. A l’image du logiciel ou des bases de données, le droit d’auteur doit donc se montrer suffisamment flexible pour intégrer ses idées à forte valeur économique, valeur déterminante de notre société. Quant aux œuvres créées par l’algorithme intelligent lui-même, celles-ci représentent une certaine forme d’expression. Un exemple plus concret est celui de FlowMachine, un algorithme d’intelligence artificielle (13). Cet algorithme a composé des morceaux s’inspirant du registre musical des Beatles. Ces morceaux constituent bien une forme d’expression de l’algorithme.
Cette condition n’est pas suffisante pour que l’œuvre soit éligible à la protection du droit d’auteur ; encore faut-il que cette œuvre soit originale. Ce critère a évolué au fil des années passant d’une approche qualitative à une approche quantitative (14). En effet, le droit d’auteur a su s’adapter aux évolutions technologiques comme ce fût le cas pour le logiciel. Bien loin de la conception personnaliste caractérisant pourtant le droit d’auteur à la française avec un droit moral fort, le droit d’auteur a su se montrer flexible. Dans cette même mouvance, l’œuvre réalisée par un robot pourrait se voir de manière équivalente reconnaître la protection par le droit d’auteur, à défaut d’une déperdition instantanée de sa valeur. La création du robot-créateur serait ainsi une œuvre de l’esprit comme une autre.
Conclusion
Il est certain que l’autonomie grandissante des robots est la variable essentielle dans cette analyse. Plus les robots seront autonomes, plus ils développeront leur capacité à analyser l’environnement et à créer de manière non supervisée. Face à cette (r)évolution, les cadres existants paraissent inadéquats ou récalcitrants à reconnaître toute forme de droits. Pourtant, les data « qualifiées de pétrole du XXIème siècle » valent aujourd’hui des milliards. Cette valeur économique doit nécessairement être protégée, reste à en déterminer le canal. La reconnaissance de la personnalité juridique du robot pourrait en être un ; le robot devenant un auteur comme un autre, la question de sa puissance créatrice et la protection par le droit d’auteur n’en serait que facilitée.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Droit des technologies émergentes
(1) Larousse, définition d’algorithme.
(2) L. 2016-1321 du 7-10-2016 pour une République numérique, art. 49.
(3) M. Schuler et B. Znaty, « Quelle protection juridique pour l’algorithme ? », extrait de l’étude « La propriété intellectuelle et la transformation numérique de l’économie – regards d’experts », INPI 2015.
(4) En ce sens, voir M. Soulez, « Le droit de la propriété intellectuelle à l’épreuve des technologies robotiques », JCP G 2016, prat 972.
(5) CPI, art. L. 111-1.
(6) Cass. 1ère civ. 15-1-2015, n°13-23566.
(7) A. Bensoussan et M. Soulez, « Le robot peut-il être un créateur protégé ? », Planète robots n°42, nov.-déc. 2016.
(8) Rapport Mady Delvaux du 12-1-2017 et Résolution du Parlement européen du 16-2-2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique.
(9) J-L. Goudet, « Watson l’ordinateur a gagné à Jeopardy un jeu télévisé », Futura-sciences.com, publié le 17-2-2011, modifié le 1-1-2017.
(10) J. Morel, « Ça y est, deux intelligences artificielles ont pu échanger avec un cryptage indéchiffrable par l’homme », Novaplanet.com 8-11-2016.
(11) CPI, art. L. 112-1.
(12) Dir. 91/250/CEE du 14-5-1991 (considérants 13 et 14), codifiée par la Dir. 2009/24/CE du 23-4-2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (considérant 11 et article premier).
(13) M. Delacharley, « Daddy’s car, écoutez ce morceau pop inspiré des Beatles créé par un ordinateur », LCI 3-10-2016.
(14) Cass. ass. plén. 7-3-1986, n°83-10477 « Sté Babolat Maillot Witt c/ X».