L’exploitation d’une marque pour une édition en ligne constitue un usage « réel et sérieux » de marque sur internet.
La Société du Figaro est titulaire, depuis 1968, d’une marque verbale française JOURS DE FRANCE protégée notamment pour des imprimés, journaux, livres. Cette marque a fait l’objet d’une exploitation pour désigner magazine hebdomadaire papier entre 1954 et 1989. En 2011, la Société du Figaro a repris l’exploitation du signe « Jours de France » sous la forme d’une édition en ligne : une page web sur le site internet du Figaro. En 2013, elle a lancé un complément de son magazine sous format papier sous le titre « Jours de France ».
La société Entreprendre, également éditrice de presse, diffuse depuis 2010 un magazine papier sous la marque JOUR DE FRANCE dont elle est titulaire depuis 2003. Le 4 septembre 2013, elle met en demeure la Société du Figaro de cesser la diffusion du magazine « Jours de France ». En réponse, cette dernière l’assigne sur les fondements de contrefaçon de marque et de droit d’auteur, concurrence déloyale et parasitaire, sollicitant par ailleurs l’annulation de la marque JOUR DE FRANCE.
En défense, la société Entreprendre a, entre autres, sollicité la déchéance des droits de la Société du Figaro sur la marque JOURS DE FRANCE pour défaut d’usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans.
Faisant droit à ces demandes en première instance, le Tribunal de grande instance de Paris a, par jugement du 18 décembre 2014 prononcé la déchéance des droits de la Société du Figaro sur la marque JOURS DE FRANCE, et l’a en conséquence déclaré irrecevable à agir en contrefaçon de marque et a débouté les parties de leurs autres demandes. Les parties ont interjeté appel à titres principal et incident.
Par arrêt du 20 novembre 2015, la Cour d’appel de Paris (1) infirme le jugement rendu, sauf en ce qu’il a rejeté la demande la Société du Figaro au titre du droit d’auteur et débouté la société Entreprendre de ses demandes reconventionnelles.
L’arrêt, particulièrement étayé, apporte plusieurs éclairages intéressants. Tout d’abord, la Cour d’appel de Paris a écarté la prescription de l’action en contrefaçon formée par la société Entreprendre en opérant une distinction entre la demande formée à l’encontre de l’enregistrement de la marque, délit instantané, et celle formée à l’encontre de l’exploitation de ladite marque, délit continu.
Ainsi, si les demandes d’annulation et de contrefaçon formées à l’encontre de la marque JOUR DE FRANCE sont prescrites, en application des articles L.714-4 et L.716-5 al. 3 du Code de la propriété intellectuelle, la demande formée à l’encontre de l’exploitation de cette marque est toujours recevable, le point de départ de la prescription se trouvant « reporté à la date de chaque acte d’exploitation argué de contrefaçon« .
Cette application distributive des règles de prescription peut conduire à des situations paradoxales dans lesquelles la marque arguée de contrefaçon ne pourra plus faire l’objet d’une action en nullité pour indisponibilité à raison de la prescription acquisitive mais verra son exploitation interdite à raison de l’atteinte à des droits de marques antérieurs.
A la lecture de cette décision, il apparaît essentiel, de procéder à la surveillance des dépôts de marques susceptibles de porter atteinte à des droits antérieurs et d’agir à leur encontre même si ces dépôts ne sont pas encore exploités.
L’arrêt mérité également d’être signalé au regard de l’appréciation du caractère réel et sérieux de l’usage d’une marque sujette à déchéance. A cet égard, il convient de rappeler que le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pendant une période ininterrompue de cinq ans, encourt la déchéance de ses droits, en application de l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle.
L’usage sérieux s’appréciant produit par produit ou service par service, il appartient au propriétaire de la marque poursuivi de rapporter la preuve de l’usage sérieux de la marque pour chaque produit ou service faisant l’objet de l’action en déchéance.
Si le législateur a envisagé la possibilité d’une reprise d’usage sérieux, celui-ci a instauré une période « suspecte » de trois mois durant laquelle une reprise d’usage ne peut faire échec à la déchéance : « l’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande ».
Au cas d’espèce, la société Entreprendre soutenait que la Société du Figaro avait cessé d’exploiter la marque JOURS DE FRANCE en 1989 et que la reprise de la publication du magazine papier intervenue en août 2013 était insuffisante pour démontrer une reprise d’usage sérieux susceptible de faire échec à l’action en déchéance formée le 7 mars 2014.
La Société du Figaro invoquait précisément une reprise sérieuse d’exploitation résultant, d’une part d’une exploitation sous forme d’une édition en ligne à compter de 2011 et, d’autre part, sous format papier à compter du 7 août 2013, cette reprise ayant été suivie de la publication de huit numéros.
La Cour refuse de prononcer la déchéance de la marque par deux motivations distinctes tenant d’une part à la qualification et au caractère probant de l’exploitation par une édition en ligne et, d’autre part, au caractère sérieux de l’exploitation sous format papier.
Concernant l’exploitation de la marque pour une édition en ligne, la société Entreprendre contestait la valeur probante des pièces produites par la Société du Figaro et, notamment :
- les constats d’huissier réalisés sur internet faisant valoir qu’un tel usage ne pouvait valoir usage de la marque pour une « publication de presse » ;
- le rapport d’audience fourni par l’appelant, faisant valoir que l’existence de robots dont le rôle consiste à parcourir le web et à extraire des données est susceptible de fausser les résultats obtenus relatifs à la fréquentation du site.
La Cour ne retient aucun de ces arguments, rappelant qu’une édition en ligne du titre se présentait « comme une déclinaison, diffusée sur internet, du titre de presse Le Figaro de sorte que la qualification de publication de presse ne peut lui être déniée ».
Elle rejette également l’argument tiré de la présence des robots susceptibles d’impacter les audiences du site aux motifs que l’impact des robots sur la fréquentation réelle du site est « hypothétique » et qu’en tout état de cause, le nombre de visiteurs uniques constaté sur le site n’est pas significativement inférieur au nombre de visiteurs.
Concernant les preuves relatives à l’exploitation en format papier, la Cour rappelle que le critère quantitatif ne constitue pas un critère d’appréciation déterminant du caractère sérieux d’une exploitation (2), retenant, qu’au cas d’espèce, « l’exploitation de ce magazine papier vient conforter l’usage réel et sérieux de la marque sur internet dans la période de trois mois antérieure à la demande de déchéance ».
Par conséquent, la Cour rejette l’action en déchéance des droits de la société du Figaro sur la marque JOURS DE FRANCE.
Statuant sur l’action en contrefaçon de la marque JOURS DE FRANCE par l’exploitation de la marque JOUR DE FRANCE, la Cour a procédé à une appréciation globale des signes en présence, retenant que l’impression globale se dégageant des signes est propre à générer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.
Là encore la motivation est intéressante. En effet, compte-tenu de la proximité des signes en cause qui se différenciaient par une seule lettre « S », au demeurant muette, la contrefaçon aurait pu être retenue sur le fondement de l’article L.713-2, sans avoir à rapporter l’existence d’un risque de confusion en application de la jurisprudence communautaire LTJ Diffusion/ Sadas Verbaudet retenant qu’un « un signe est identique à la marque lorsqu’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen » (3).
Tout en admettant le caractère négligeable de la suppression de la lettre « S » au sein de la marque JOUR DE FRANCE, la Cour apprécie néanmoins l’existence d’un risque de confusion entre les signes en cause, traduisant une appréciation stricte de la notion de contrefaçon par reproduction.
Virginie Brunot
Pauline Perez
Lexing Droit Propriété industrielle
(1) CA Paris, 5e Pôle 2e ch. 20-11-2015 n°14/00649, Société du Figaro c/ Entreprendre.
(2) CJCE 11-3-2003, C-40/01, Ansul BV et Ajax Brandbeveiliging BV
et CJCE 27-1-2004, C-259/02, La Mer Technology Inc. et Laboratoires Goemar SA.
(3) CJCE plen. 20-3-2003, C-291/00, LTJ Diffusion SA et Sadas Vertbaudet SA.