Le projet de loi PACTE prévoit d’apporter un cadre juridique aux Initial Coin Offering (ICO) (1), offres de jetons virtuels.
Le manque de règlementation des ICOs (Initial Coin Offering)
Qu’est-ce que l’ Initial Coin Offering (ICO) ou offre initiale de jetons numériques ?
L’ICO est une levée de fonds pour une start-up utilisant un moyen d’enregistrement électronique partagé (DLT) comme la technologie blockchain. En échange de ces fonds, les start-up vont donner des «tokens» (jetons) émis avec la technologie blockchain qui seront échangés sur des plateformes spécialisés.
Les droits qu’offrent les tokens peuvent être très variés, allant de droits financiers simples comme l’accès à un certain pourcentage des profits de la start-up à des droits financiers plus complexes comme des droits aux profits réalisés sur une partie de l’activité. Les tokens sont souvent un droit d’acheter les produits ou services futurs de la société.
Il s’agit d’un phénomène récent qui a pris de l’ampleur dans le courant de l’année 2017. Mi-mai 2018, déjà 7 Initial Coin Offering avaient été levées en France pour un montant levé de près de 80 millions d’euros.
Toutefois, malgré le développement de ce phénomène, aucune règlementation en la matière n’existe à ce jour. Les «jetons» émis peuvent être qualifiés juridiquement de différentes manières selon leurs caractéristiques propres (titres financiers, bien divers, etc.). Cependant, comme constaté par l’Autorité des marchés financiers dans le cadre du programme UNICORn (Universal Node to ICO’s Research & Network), la plupart de ces jetons ne répondent pas aux éléments de définition des titres financiers en droit français (2).
Le but de l’instauration d’un cadre juridique est de permettre de distinguer les projets sérieux des projets potentiellement frauduleux et de disposer d’une information fiable pour évaluer la qualité des projets ou des sociétés financées.
Projet de loi PACTE : vers une règlementation des Initial Coin Offering
Dans un premier temps, plusieurs options ont été envisagées mais n’ont finalement pas été retenues. La première option était de rendre ces règles obligatoires dans le but d’assurer que tous les acteurs faisant appel à l’épargne des français soient en mesure de satisfaire à ces règles minimales. Néanmoins, cette option a été écartée dans la mesure où il n’existe pas de règles à l’échelle internationale, la mise en place de règles contraignantes seulement à une échelle nationale conduirait à une fuite des acteurs innovants choisissant le recours à ce mode de levée de fonds.
La seconde option envisagée était de permettre à l’Autorité des marchés financiers de délivrer un visa à toute offre destinée au marché français, indépendamment de la localisation de l’émetteur. Toutefois, cette option a également été écartée en raison de l’interrogation sur la capacité de l’AMF à contrôler effectivement que les conditions posées sont remplies par l’émetteur étranger.
L’article 26 du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises «PACTE» ajoute plusieurs articles au Code monétaire et financier.
Le nouvel article L.552-2 prévu par le projet de loi PACTE définit un jeton comme «tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien».
Le nouvel article L.552-3 prévu par le projet de loi PACTE dispose qu’ «une offre au public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons». Est écartée du champ d’application de l’offre public de jetons l’offre de jetons ouverte à la souscription par un nombre limité de personnes, fixé par le règlement général de l’AMF, agissant pour compte propre.
Les conditions retenues pour solliciter un visa de l’AMF
Le projet de loi PACTE prévoit que, préalablement à toute offre au public de jetons, les émetteurs peuvent solliciter un visa de l’AMF. Contrairement à l’option qui avait été proposée, il s’agit d’une règle facultative.
Pour pouvoir obtenir un visa de l’AMF, des conditions doivent être réunies, d’une part, concernant le document d’information établi par les émetteurs et, d’autre part, concernant les émetteurs eux-mêmes.
Tout d’abord, les émetteurs doivent établir un document ayant pour but de donner toute information utile au public sur l’offre proposée et sur l’émetteur. Ce document d’information et les communications à caractère promotionnel relatives à l’offre au public doivent présenter un contenu exact, clair et non trompeur et permettant de comprendre les risques afférents à l’offre.
Ensuite, l’émetteur des jetons doit, d’une part, être constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France et, d’autre part, mettre en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre.
Après examen du document d’information, des projets de communications à caractère promotionnel destinées au public postérieurement à la délivrance du visa et des pièces justificatives des garanties apportées, l’AMF peut apposer son visa. Ultérieurement, l’AMF peut retirer son visa si elle constate que l’offre proposée n’est plus conforme ou ne présente plus les garanties prévues.
Le 14 juin 2018, le Conseil d’Etat a donné son avis sur ce projet de loi (3) et a relevé le caractère innovant du projet par la création de ce régime national «qui n’est imposé ni par le droit de l’Union européenne ni par le droit international et qui présente un caractère optionnel».
Le 18 juin 2018, le projet de loi PACTE a été présenté en Conseil des ministres (4). A partir de septembre 2018, le projet de loi sera examiné au Parlement.
Marie Soulez
Solène Gérardin
Lexing Propriété intellectuelle contentieux
(1) Projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises, Doc. Ass. nat. n° 1088 du 19-6-2018.
(2) Etude d’impact, Doc. Ass. nat. du 20-6-2018, p. 345.
(3) CE, 14 juin 2018, avis n°394.599 et 395.021
(4) Le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, présenté en Conseil des ministres le 18-6-2018.