L’essor du commerce spatial met à mal le régime juridique existant en matière de responsabilité relative aux débris spatiaux.
Le 21e siècle devrait être celui de l’explosion des activités spatiales grâce à la privatisation de l’espace et l’apparition de nouveaux secteurs d’activités comme le tourisme spatial ou encore l’extraction des matières premières se trouvant sur les astéroïdes.
Pour ne pas freiner cette expansion, il est primordial de réduire les risques inhérents aux débris spatiaux dont le nombre ne fait que croître depuis l’envoi de Spoutnik dans l’espace en 1957.
Aujourd’hui, il est recensé autour de la Terre environ 20 000 objets d’une taille supérieure à 10 cm, 300 000 entre 1 et 10 cm et plusieurs dizaines de millions d’objets compris entre 0.1 et 1 cm., concentrés sur l’orbite géostationnaire utilisé par les satellites et la station spatiale internationale.
Or, comme en témoigne la collision entre les satellites Iridium 33 et Kosmos 2251 en 2009, le risque de dommage causé par des débris spatiaux est bien réel.
Pourtant, il s’avère que le régime actuel n’est plus adapté à la privatisation de l’espace, il est donc nécessaire de mettre en place un nouveau régime de responsabilité pour les dommages causés par les débris spatiaux.
Les débris spatiaux : des objets spatiaux non fonctionnels
La notion de débris spatial n’est pas clairement définie dans les textes internationaux et nationaux.
Néanmoins, le traité de l’espace (1) adopte une définition très large d’objets spatiaux qui englobe celle de débris spatial. En effet, sont des objets spatiaux, au sens du traité de l’espace, « les éléments constitutifs d’un objet spatial, ainsi que son lanceur et les éléments de ce dernier » (Traité de l’espace, art. 1er, chapitre C)
De même, les débris spatiaux sont indirectement définis par l’article 1er de la loi française de 2008 (2) comme étant des objets spatiaux « non fonctionnel d’origine humaine, y compris des fragments de celui-ci, en orbite terrestre ou rentrant dans l’atmosphère terrestre ».
En conséquence, les débris spatiaux peuvent, par analogie, être définis comme n’importe quel élément inactif d’un objet spatial, ainsi que l’objet spatial lui-même, quel que soit sa taille et sa nature. Il peut donc s’agir tant d’une vis que d’un satellite.
Le traité de l’espace : un cadre juridique obsolète
Le traité de l’espace prévoit au chapitre C le cas des dommages causés par un Etat de lancement à un objet spatial d’un autre Etat de lancement ou aux personnes se trouvant à bord.
L’article III prévoit que seul un Etat de lancement peut être responsable envers un autre Etat de lancement si le « dommage est imputable à sa faute ».
Donc, en théorie, si le bien appartient à un Etat de lancement ou aux personnes dont il a la charge et qu’il commet une faute dans la gestion de l’objet spatial, alors il est responsable et doit indemniser la victime selon une procédure prévue par le texte.
Toutefois, le traité de l’espace est en réalité très limité et trop peu précis pour être réellement applicable en cas de conflit lié à un dommage causé par des débris spatiaux.
Tout d’abord, ce texte n’est applicable qu’entre Etats, y compris si le manquement provient d’une entreprise privée. Dès lors, sont exclus les nouveaux acteurs du marché comme Space X qui effectue eux-mêmes les lancements des objets spatiaux.
Ensuite, cette responsabilité se heurte à un problème de preuve : comment démontrer la propriété d’un débris spatial ? Bien qu’il soit possible de connaitre la propriété d’un satellite, voire de certains éléments de l’objet spatial, cela semble beaucoup plus complexe pour les très petits débris qui restent très dangereux.
Enfin, si la propriété du débris est démontrée, encore faut-il démontrer la faute ou la négligence de l’une des parties. Or force est de constater que cela reste très compliqué étant donnée le peu d’obligation existant dans le domaine spatial.
Le litige entre la Russie et les Etats-Unis concernant la collision entre les satellites Iridium 33 et Kosmos 2251 en est la preuve flagrante, les deux parties estimant qu’elles n’ont pas l’obligation d’éviter une collision, que le satellite soit actif ou non (3).
Le droit français : unique réglementation applicable aux entreprises privées
La loi française de 2008 prévoit un régime légal encadrant la responsabilité des opérateurs du secteur spatial, c’est-à-dire toute personne exerçant une activité dans le spatial, en cas de dommages causés aux tiers.
L’article 14 permet de compléter le traité de l’espace en considérant qu’un Etat condamné au titre d’un dommage causé par des objets spatiaux sur le fondement du traité de l’espace peut exercer une action « récursoire contre l’opérateur à l’origine de ce dommage ayant engagé la responsabilité internationale de la France ».
En outre, l’article 13 prévoit qu’en cas de dommage causé dans l’espace, seule la responsabilité pour faute de l’opérateur peut être retenue.
Toutefois, cette loi est l’unique loi encadrant la responsabilité des activités spatiales dans le monde. Par ailleurs, cette loi ne traite pas de la règlementation spécifique en matière de débris spatiaux. En conséquence, son impact reste donc très limité et il serait indispensable de prévoir une législation internationale, voire, a minima, au niveau européen.
Les règles de bonne conduite : des lignes directrices non-coercitives
A défaut d’une règlementation internationale spécifique aux débris spatiaux, les principales agences spatiales ont établi des « règles de bonne conduite » que les entreprises sont invitées à suivre mais qui ne sont pas obligatoires.
Il en existe quatre principales :
- le « Safety Standard NSS-1740.14 – Guidelines and Assessment Procedures for Limiting Orbital Debris » établi en 1995 par la NASA ;
- le « Space Debris Mitigation Standard NASDA-STD-18 » établi en 1996 par la NASDA ;
- le « CNES Standards Collection, Method and Procedure Space Debris – Safety Requirements (RNC-CNES-Q40-512) » établi par CNES en 1999 ;
- le « Code de Conduite Européen » établi en 2004.
En outre, au niveau international, un organe intitulé l’Inter Agency Space Debris Coordination (IADC) a été créé en 1993 afin d’échanger des données relatives aux débris spatiaux A ce titre, l’IADC a élaboré un guide de bonne conduite avalisé par l’ONU en 2007 par les 69 pays membres du comité (4).
Néanmoins, il ne s’agit que de recommandations dont la mise en œuvre pour les entreprises représente un surcoût non négligeable en « termes de masse, performance, développement et opérations », ce qui freine leur usage.
Alain Bensoussan Avocats
Pôle Constructeurs Informatique et Telecom
(1) Traité de l’espace : Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (annexe de la résolution 2222 (XXI) de l’Assemblée générale) – adopté le 19-12-1966, ouvert à la signature le 27-1-1967, entré en vigueur le 10-10-1967.
(2) Loi n° 2008-518 du 3-6-2008 relative aux opérations spatiales (modifiée).
(3) Michael Listner, “Iridium 33 and Cosmos 2251 three years later: where are we now ?”, thespacereview.com, 13-2-2012.
(4) Office for outer space affairs, « Space debris mitigation guideline’s of the committee on the peaceful uses of outer space », United nations 2010.