Après neuf ans de saga, la Cour d’appel de Paris retient l’atteinte à la marque renommée MAISONS DU MONDE et annule la marque TOUT POUR LA MAISON.
Spécialisée dans l’ameublement et la décoration de la maison, la société Maisons du Monde est titulaire de la marque MAISONS DU MONDE, déposée en 1996 pour désigner les produits de décoration et d’ameublement.
Cette marque complexe est composée des éléments verbaux « maisons du monde » en caractères bleus, surmontés de petites maisons stylisées de couleur orange foncé, le tout dans un cartouche orange :
En 2003, la société Gifi dépose une marque semi-figurative TOUT POUR LA MAISON, composée des éléments verbaux « tout pour la maison », surmontés d’une maison stylisée, le tout dans un cartouche orange :
Cette marque est enregistrée pour désigner des services de mise à disposition et présentation aux consommateurs de produits variés – dont des produits d’ameublement et de décoration – en vue de leur vente et de leur achat. La société Gifi l’exploite sur des panneaux publicitaires placés devant ses magasins.
En 2008, ayant constaté ces agissements, la société Maisons du Monde assigne les sociétés Gifi et Gifi Mag, initialement sur le fondement de la contrefaçon de marque, concurrence déloyale et parasitaire, demandant en conséquence l’annulation de la marque TOUT POUR LA MAISON. En appel, elle forme également des demandes fondées sur l’atteinte à la marque renommée MAISONS DU MONDE.
Cette assignation est le point de départ d’une véritable saga judiciaire de neuf ans, donnant lieu à deux arrêts de cassation au visa de l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle. L’occasion pour la Cour d’appel de Paris, se prononçant sur renvoi après cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux (1), de rendre un arrêt particulièrement motivé sur l’appréciation de l’atteinte à la marque renommée et des mesures de réparation susceptibles d’être ordonnées (2).
Conditions de l’atteinte à la marque renommée
Pour mémoire, l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle, qui doit être interprété à la lumière de l’article 5, 2 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, prévoit que la reproduction ou l’imitation d’une marque renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.
Dans cette affaire, la Cour de cassation avait déjà rappelé, dans son premier arrêt du 9 juillet 2013, que le régime de protection s’applique aussi bien pour des produits ou des services non similaires que pour des produits ou des services identiques ou similaires (3). Dans son arrêt du 12 avril 2016, elle rappelle également que le risque de confusion est indifférent dans l’appréciation de l’atteinte à la marque renommée (4).
C’est donc en application de ces deux principes que la cour d’appel fonde son analyse de l’atteinte à la marque renommée MAISONS DU MONDE.
Existence d’un lien avec la marque renommée
Pour ce faire, elle va, en premier lieu, procéder à une analyse des signes en conflit, recherchant, non l’existence d’un risque de confusion mais « d’éléments de ressemblance visuelle, auditive ou conceptuelle » de nature à générer un certain degré de similitude entre les signes conduisant le public à établir un lien entre ceux-ci.
En l’espèce, elle relève que les marques déposées ont en commun le terme « maison », l’adoption d’un fond orange et d’une maison stylisée et renvoient toutes deux à l’univers de la maison. Prenant en considération, selon la terminologie consacrée par la Cour de justice de l’Union européenne, « l’ensemble des facteurs pertinents du cas d’espèce », elle relève, par ailleurs, que le code couleur orange n’est pas celui habituellement utilisé par la société Gifi. Elle relève également que, si la marque opposée comporte quatre habitats et non un seul, la société Maisons du Monde démontre avoir souvent utilisé la maison seule sur ses produits ou ses étiquettes depuis 2010.
La Cour d’appel de Paris en conclut que la marque TOUT POUR LA MAISON reproduit « des éléments caractéristiques de l’identité propre à la marque renommée MAISONS DU MONDE », indépendamment de l’existence d’un risque de confusion.
L’atteinte à la marque de renommée a pour particularité de dépasser le principe de spécialité pour s’appliquer à des produits et services non similaires. Pour autant, l’existence d’une similarité entre les produits et services constitue un facteur d’appréciation de l’existence d’un lien entre les marques. Au cas d’espèce, la Cour prend en considération ce facteur et conclut que les services de regroupement, de mise à disposition et présentation aux consommateurs visés par la marque TOUT POUR LA MAISON sont similaires par complémentarité aux produits visés par la marque MAISONS DU MONDE.
Il résulte ainsi de l’appréciation globale des facteurs pertinents au cas d’espèce que le public concerné, à savoir le grand public, est conduit à établir un lien entre la marque renommée et la marque postérieure, alors même qu’il ne les confond pas.
Existence d’une atteinte à la marque renommée
La démonstration de l’existence d’un tel lien n’est pas suffisant pour conclure à l’atteinte à la marque renommée. La cour d’appel rappelle ici qu’il convient également d’établir l’existence d’une atteinte à cette marque.
L’atteinte peut être de trois types : un préjudice porté au caractère distinctif de la marque, également appelé « dilution », un préjudice porté à la renommée (ternissement) ou un profit indu tiré de ce caractère distinctif ou de cette renommée.
Les trois types d’atteinte sont retenus en l’espèce.
En premier lieu, elle retient que les sociétés Gifi, spécialisées dans la vente de produits discount de faible qualité, ont tenté de se placer dans le sillage de la marque renommée MAISONS DU MONDE, connue pour son positionnement plus haut de gamme, afin de bénéficier de son pouvoir d’attraction et de son prestige. Elle conclut ainsi à l’existence d’un profit indu.
Mais elle retient également un préjudice d’atteinte à la renommée de la marque résultant précisément de la différence de gamme entre les produits des deux marques. Le public associant généralement la marque MAISONS DU MONDE à des produits de qualité, alors que les produits GIFI ont plutôt une image « bon marché », elle relève que les agissements des sociétés Gifi engendrent un préjudice d’image constitutif d’une atteinte à la renommée de la marque.
Enfin, elle relève que l’utilisation massive et visible de la marque TOUT POUR LA MAISON risque « à terme de ne plus susciter dans l’esprit du grand public une association immédiate » de la marque renommée MAISONS DU MONDE avec les produits commercialisés sous cette marque. Il y a donc un préjudice porté au caractère distinctif de la marque renommée.
Réparation de l’atteinte à la marque de renommée
La Cour d’appel de Paris prononce, à titre de réparation, des mesures d’interdiction, ainsi que l’allocation de dommages et intérêts et la publication du dispositif de la décision.
Mais le point intéressant de l’arrêt réside moins dans ces mesures de réparation classiques que dans l’annulation de la marque TOUT POUR LA MAISON.
En effet, l’annulation de la marque n’est pas prononcée ici comme le résultat d’une demande indépendante mais comme mesure réparatrice de l’atteinte à la marque renommée.
Rappelant le principe de réparation intégrale des préjudices, la cour d’appel retient que les règles de la responsabilité civile s’appliquent, nonobstant le régime spécial de protection de la marque de renommée. Dans ce cadre, le juge peut prendre les mesures nécessaires pour faire cesser l’atteinte ou prévenir la réalisation ou l’aggravation du préjudice et ordonner une réparation, tant en nature que par équivalent.
Sur la base de ces considérants, la Cour prononce l’annulation de la marque TOUT POUR LA MAISON, retenant que cette annulation « est nécessaire pour empêcher la poursuite » ou prévenir la répétition des atteintes à la marque renommée.
Cette motivation a pour effet d’écarter l’irrecevabilité soulevée par les sociétés Gifi concernant la demande d’annulation de la marque. En effet, celles-ci faisaient valoir que le rejet de la demande d’annulation de la marque par la Cour d’appel de Bordeaux n’avait pas fait l’objet de la cassation partielle intervenue et était donc définitif. La porte reste donc entrouverte pour un nouveau pourvoi.
Virginie Brunot
Justine Ribaucourt
Lexing Droit Propriété industrielle
(1) CA Bordeaux, 1e ch. civ. sect. A., 20-10-2014, RG 13/05295, Sté Maisons du Monde c/ Sté Gifi Mag
(2) CA Paris, Pôle 5e ch. 1, 25-4-2017, RG 104/2017, PIBD n°1073 III 439.
(3) Cass. com., 9-7-2013, n°12-21.628, Sté Maisons du Monde c/ Sté Gifi Mag
(4) Cass. com., 12-4-2016, n°14-29.414, Sté Maisons du Monde c/ Sté Gifi Mag