Retour sur le rapport de la mission sur les NFT initié par le CSPLA

NFT

Le rapport de la mission sur les NFT initié par le CSPLA s’est attaché à décrypter les NFT (ou JNF, jetons non fongibles en français). Il contient de précieuses pistes de réflexion.

En effet, face au développement massif des NFT, le CSPLA a souhaité établir :

« un état des lieux permettant d’identifier, d’analyser et d’évaluer ce phénomène dans ses divers aspects juridiques, au prisme de la propriété littéraire et artistique, dans l’intérêt des différents acteurs concernés et de son marché » (1).

Le CSPLA reconnaît que le développement des JNF constitue une opportunité pour l’intégralité du secteur culturel. Cependant, il identifie les nombreuses difficultés et interrogations engendrées par cette nouvelle technologie.

Une qualification complexe

Le CSPLA commence par donner une définition technique du JNF. Il le considère comme un jeton cryptographique émis dans la blockchain, bénéficiant à ce titre des garanties inhérentes à cette technologie :

  • authentification du titulaire,
  • inaltérabilité et transparence etc.

Le CSPLA se penche ensuite sur la complexité de la qualification juridique des JNF (2).

Il reconnaît d’abord l’application aux JNF des articles L.54-10-1, L.552-2 du Code monétaire et financier et L.320-1 du Code de commerce. Ces textes traitent des jetons et des biens meubles incorporels.

Il déplore néanmoins que ces articles ne qualifient pas explicitement les JNF.

Il rejette ensuite la qualification d’œuvre d’art au sens du Code de la propriété intellectuelle (3). En cause : l’absence de caractère original exprimant la personnalité de leur auteur des JNF. Ces derniers relèvent en effet « d’un processus de codage informatique fortement contraint et automatisé ».

Le CSPLA affirme également que les JNF ne contiennent pas l’œuvre mais seulement un lien vers cette dernière (dans la majorité des cas). Ils peuvent alors difficilement être considérés comme supports d’œuvre d’art.

Enfin, le Conseil exclut la qualification de certificat d’authenticité, les JNF étant « technologiquement neutres ». Ils ne sont donc pas « susceptibles d’avoir pour objet des faux ».

Le Rapport relève les imperfections de ces tentatives de définitions. Il s’attache ensuite à rapprocher les JNF d’autres notions susceptibles de prendre en considération ses caractéristiques comme les :

  • contrats,
  • instruments de gestion de droits ou
  • titres de droits.

Le CSPLA propose in fine d’opter pour une définition souple. Celle de considérer les JNF comme des titres de propriété :

  • s’appuyant sur la technologie de la blockchain et
  • assimilables à un bien meuble incorporel.

Le Conseil qualifie ainsi le JNF de :

« titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain, auquel peuvent être associés d’autres droits sur le fichier numérique »

Son objet, sa nature et son étendue varient en fonction de la volonté de son émetteur exprimée par :

  • les choix techniques et juridiques associés au « smart contract » (programme informatique conférant ses propriétés à un jeton au sein d’une blockchain).

Cette qualification souple pose le jalon d’une proposition d’encadrement des JNF modulable.

Une source de risques et d’incertitudes

Selon le CSPLA, le développement des JNF crée d’abord un problème structurel en matière de propriété intellectuelle.

En effet, le JNF n’est pas un outil favorisant le respect du droit d’auteur, notamment lors de la production d’un jeton associé à une œuvre soumise au droit d’auteur : le jeton ne contenant pas l’œuvre en elle-même, le droit d’auteur ne devrait pas s’appliquer, ce qui laisse le créateur de l’œuvre sans protection.

L’émission d’un jeton associé à une œuvre soumise au droit d’auteur soulève une autre difficulté. En effet, dès lors qu’il n’est pas émis à l’initiative de l’auteur lui-même, il suppose l’accord préalable de l’auteur de l’œuvre ou de ses ayants droits. Or, la pratique actuelle démontre que la recherche d’un tel accord est rarement effectuée, ouvrant la voie de contentieux multiples et incertains.

En effet, l’état du droit actuel rend particulièrement difficile la détermination de la juridiction compétente et de la législation applicable dans le cadre d’une action en contrefaçon de droits d’auteur par un JNF.

De la même façon, les cessions et reventes de JNF supposent en théorie un contrat de cession ou de licence, dont la forme se révèle pour le moment inadéquate au format NFT.

Quant à l’application du droit de suite aux JNF, elle reste très relative en l’état.

Le CSPLA identifie ensuite des incertitudes relatives au régime fiscal des JNF et plus largement à la réglementation financière des actifs numériques, le régime des JNF n’étant prévu dans aucun des cas.

Pour finir, le rapport mentionne des difficultés liées aux enjeux climatiques (la consommation énergétique de la blockchain étant extrêmement importante), à la sécurité des plateformes (risques d’escroquerie et piratage), à la protection des consommateurs et la perte de vitesse du secteur spéculatif des JNF qui risque de créer de nombreux contentieux.

De nombreux enjeux nécessitent donc la sécurisation de l’usage des NFT au regard de la législation en vigueur, tant française qu’internationale.

Les recommandations du CSPLA pour la sécurisation de la technologie des JNF

Au regard de ces éléments, le CSPLA formule plusieurs propositions.

En matière de propriété intellectuelle, il propose :

  • d’informer les acteurs du secteur à l’aide d’une documentation pédagogique,
  • de responsabiliser les plateformes avec l’élaboration d’une charte des bonnes pratiques,
  • d’organiser une réflexion sur la mise en place de tiers vérificateurs et sur l’effectivité des décisions judiciaires.

Concernant la protection des consommateurs, le CSPLA propose de sensibiliser le grand public et d’instaurer une obligation loyale d’information par les plateformes (charte des bonnes pratiques).

Enfin, au sujet de la fiscalité et de la réglementation sur le blanchiment, le CSPLA recommande :

  •  court terme de clarifier l’applicabilité du régime des actifs numériques au JNF,
  • à long terme de réfléchir à une fiscalité plus adaptée, notamment au niveau européen, et si besoin via une qualification législative des JNF.

Le CSPLA fait également diverses recommandations sur la politique publique à mettre en place par le secteur culturel concernant les JNF (développement d’outils et d’indicateurs, mise en place des formations et des expérimentations, soutien des projets innovants, instauration de recommandations opérationnelles et d’orientations stratégique, prise en compte du volet environnemental etc.).

Le rapport ainsi rendu confirme le grand potentiel de la technologie des JNF mais également l’importance des risques associés, notamment dans le secteur culturel.

Il recommande donc d’investir dans les JNF afin de déployer cette technologie tout en sécurisant son utilisation, notamment afin de garantir le respect du droit de la propriété intellectuelle et plus particulièrement du droit d’auteur.

Tous ces enjeux identifiés par le CSPLA s’ajoutent à la longue liste des interrogations juridiques entraînées par le développement des technologies liées aux mondes virtuels (blockchain, métavers etc.) (4).

Virginie Brunot
Cécile Merveilleux du Vignaux
Lexing Droit Propriété Industrielle

Notes

(1)  Lettre de mission NFT du 2 novembre 2021.
(2) Voir le Post de Jennifer Bessi, « Le NFT en 4 questions », du 16 février 2022.
(3) Article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle.
(4) Voir notre Post, « Produits virtuels et jetons non fongibles : dépôt de marques », du 11 août 2022.

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