Les fonctionnalités SkypeOut sont désormais qualifiées par la Cour de justice de l’Union européenne de service de communications électroniques (1).
En effet, le 5 juin 2019, la Cour a statué sur le renvoi préjudiciel qui lui avait été soumis par la Cour d’appel de Bruxelles, concernant la délimitation de la définition du service de communications électroniques au sens des directives de l’Union européenne. En précisant cette notion, la CJUE fait entrer la société Skype Communications – pour une partie de ses activités – parmi la catégorie des opérateurs de communications électroniques.
Définition du service de communications électroniques
Le service de communications électronique est défini au sein du Considérant n°10 de la Directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002, dite « directive-cadre » (2).
Ce service « […] se rapporte à une large gamme d’activités économiques se déroulant en ligne ». Les institutions européennes précisent de manière négative que « la plupart de ces activités ne sont pas couvertes par le champ d’application de la […] directive, car elles ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques ». Il est, toutefois mentionnée sous ce même considérant que « les services de téléphonie vocale et de transmission de courrier électronique sont couverts par la […] directive ».
Déjà, la lettre de la directive prévoyait le fait qu’une même entreprise pouvait proposer à la fois un service de communications électroniques et des services non couverts par la directive, tels que la fourniture de contenus.
L’article 2 c) de cette même directive poursuit et définit le service de communications électroniques comme le « service fourni normalement contre rémunération qui consiste entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques, y compris les services de télécommunications et les services de transmission sur les réseaux utilisés pour la radiodiffusion, mais qui exclut les services consistant à fournir des contenus à l’aide de réseaux et de services de communications électroniques ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ces contenus ; il ne comprend pas les services de la société de l’information tels que définis à l’article 1er de la directive 98/34/CE qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques ».
Toutefois, face à l’alternance des éléments de définition positifs et négatifs, un certain flou s’est installé, laissant espérer une décision plus éclairante de la part de la Cour de justice.
Dans cet arrêt, la CJUE vient, ainsi, préciser les services devant figurer parmi les services de communications électroniques et y inclure les fonctionnalités de SkypeOut, facultativement ajoutées au logiciel Skype.
Les services prestés par la société Skype
La société Skype Communications édite le logiciel Skype désormais mondialement connu, qui permet, à l’utilisateur l’ayant installé sur son terminal, de bénéficier d’un service de téléphonie vocale et de téléconférence, d’appareil à appareil.
Les fonctionnalités SkypeOut peuvent être ajoutées au logiciel Skype afin de permettre à son utilisateur de passer des appels téléphoniques depuis un terminal, vers une ligne de téléphonie fixe ou mobile, en utilisant la voix sur IP. Cette faculté est, toutefois, accordée aux utilisateurs « à sens unique » en ce qu’ils ne peuvent, en revanche, recevoir des appels téléphoniques issus de ces lignes comprises dans le plan national de numérotation.
Cette fonctionnalité se rapproche, pour certains points, des éléments de définition du service de communications électroniques. En effet, il est fourni contre rémunération, par l’intermédiaire d’une formule prépayée ou de divers abonnements.
Par ailleurs, des accords conclus avec les fournisseurs d’accès Internet permettent de réaliser l’acheminement des signaux d’appels.
Néanmoins, la société Skype Communications arguait se voir exempter de la qualification d’opérateur de communications électroniques en ce que le service SkypeOut est fourni en dehors de toute offre d’un FAI. Or ce sont les FAI qui, en pratique, transmettent et terminent les appels vers le réseau téléphonique public commuté. D’autant plus que la société ne s’est vue allouer aucun numéro depuis le plan de national de numérotation.
De plus, la société Skype Communications invoquait que ses conditions générales précisent qu’elle n’est en aucun cas responsable, envers le client final, de la transmission des signaux, ce qui est incompatible avec la qualité d’opérateur de communications électroniques.
L’argumentaire retenu par la Cour de justice
La CJUE n’a pas été sensible aux arguments de la société Skype Communications et considère que les services fournis dans le cadre des fonctionnalités SkypeOut entrent sous la qualification des services de communications électroniques.
Pour appuyer son raisonnement, la Cour use de critères de qualification tant positifs que négatifs.
Parmi les éléments constitutifs des services de communications électroniques, la CJUE relève, tout d’abord, que la société Skype Communications perçoit une rémunération de la part des utilisateurs de SkypeOut – par prépaiement ou abonnement.
Ensuite, elle considère que la société effectue les transmissions de signaux d’appels dans la mesure où, si ces signaux sont, en pratique, acheminés par des fournisseurs de services de télécommunications, ces derniers sont rémunérés par Skype Communications sur une base contractuelle. La Cour reconnaît que « cette transmission intervient en vertu des accords passés entre Skype Communications et lesdits fournisseurs de télécommunications et ne saurait intervenir sans la conclusion de tels accords » (§ 34 de l’arrêt).
La Cour poursuit et considère que la société Skype Communications est bien responsable, envers les utilisateurs de la fonctionnalité SkypeOut. Cette responsabilité se déduit justement des accords conclus avec les FAI et les fournisseurs de services de télécommunications. Les fournisseurs sont contractuellement responsables vis-à-vis de la société, mais pas des clients avec lesquels ils n’entretiennent aucune relation contractuelle. En revance, Skype Communication est considérée comme responsable vis-à-vis des utilisateurs de la fonctionnalité SkypeOut dans la mesure où ces services sont rémunérés. La relation contractuelle et rémunérées entre la société et ces divers fournisseurs d’une part, et les utilisateurs finals d’autre part, joue donc un rôle déterminant dans l’analyse de la Cour.
Ces différents critères permettent à la CJUE de considérer la fonctionnalité SkypeOut comme service de communications électroniques. Or, la Cour poursuit son raisonnement en écartant les arguments avancés comme éventuelles exonérations de ce statut.
SkypeOut fonctionnalité ou service de communications électroniques ?
Parmi les éléments ne faisant pas obstacle à la reconnaissance de la qualité de services de communications électroniques, la Cour de justice précise, d’abord, que le fait que l’usage de la fonctionnalité SkypeOut nécessite d’utiliser un service d’accès à Internet – considéré comme service de communications électroniques – n’implique pas que le service de la société Skype Communication ne puisse pas être considéré en tant que tel comme un service de communications électroniques. Il est, en effet, possible que le service proposé par cette société implique la fourniture de deux services de communications électroniques distincts.
De plus, la Cour de justice ajoute que le fait que le service SkypeOut ne soit qu’une fonctionnalité du logiciel Skype ne fait pas obstacle à sa qualification de service de communications électroniques. En effet, les deux types de services « apparaissent clairement distincts dans leur objet et demeurent totalement autonomes dans leur fonctionnement » (§ 43 de l’arrêt).
Par ailleurs, la CJUE poursuit sur le terrain de la responsabilité en précisant que, le fait pour la société Skype Communications de se dédouaner, dans ses conditions générales, de toute responsabilité liée à la transmission des signaux à l’égard des utilisateurs, est sans effet sur la qualification du service presté. Il n’est, en effet, pas concevable pour la Cour qu’un fournisseur puisse se soustraire à ses obligations, à travers ses propres conditions générales.
Enfin, la Cour termine son raisonnement en précisant que la qualification de service de société de l’information ne fait pas obstacle à la qualification parallèle de service de communications électroniques. Elle précise, à ce titre, que l’exclusion des services de la société de l’information par la directive-cadre ne concerne que les services qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques. A contrario, les autres services de la société de l’information ne sont pas exclus du champ d’application de la directive-cadre.
La CJUE considère, ainsi, que la fourniture du service SkypeOut constitue un service de communications électroniques, faisant de Skype Communications, pour cette branche de son activité, un opérateur de services de communications électroniques.
Frederic Forster
Johanna Chauvin
Lexing Constructeurs informatique et télécoms
(1) CJUE, Aff. C-142/18 du 5 juin 2019, Skype Communications Sarl c. Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT).
(2) Directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre»), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009.