La Cour de cassation a récemment rendu une décision intéressante relative à la sanction du défaut d’agrément (1).
La situation litigieuse qui était soumise à la Haute juridiction concernait une société en nom collectif (SNC) comprenant à son capital trois associés à parts égales. L’un des associés avait cédé l’intégralité de sa participation capitalistique à une tierce personne sans obtenir l’agrément des deux autres associés de la société.
C’est dans ce contexte que la société ainsi que les deux associés floués ont assigné le tiers acquéreur se prétendant associé de la société aux fins de voir juger l’absence de son statut d’associé. Reconventionnellement, ce dernier demandait l’annulation de l’assemblée générale ordinaire annuelle d’approbation des comptes ainsi que les autres décisions collectives pour lesquelles il n’avait pas été convoqué.
L’enjeu était donc d’importance pour la société.
Pour la première fois, la Cour de cassation a dû se prononcer frontalement sur la question de la sanction d’une cession de parts de SNC non agréée par l’ensemble des associés.
La Haute juridiction, au visa de l’article L.221-13 du Code de commerce, a jugé que le défaut d’agrément unanime des associés à la cession des parts sociales d’une SNC n’entraînait pas la nullité de la cession litigieuse mais simplement son inopposabilité à la société et aux associés.
Ainsi, la Haute juridiction nous renseigne sur la nature de la sanction d’une cession de parts sociales d’une SNC non agréée : la solution n’est pas à chercher au niveau de la validité de la cession mais au stade de son efficacité.
La sanction variable du défaut d’agrément
L’agrément des associés permet de contrôler l’entrée dans la société de nouveaux associés et maintenir ainsi un contrôle de la répartition du capital social telle qu’elle a été établie entre les associés. A cet égard l’agrément est souvent couplé d’une clause de préemption d’achat des droits sociaux par les associés.
Selon la forme sociale en cause, l’agrément peut être d’origine légale (not. société civile, SARL, SNC) ou statutaire (not. les sociétés par actions). La clause d’agrément peut également être extrastatutaire dans la mesure où dans bien des situations, les modalités d’application de l’agrément des associés sont précisées dans un pacte d’associés/actionnaires.
Même si certaines juridictions du fond ont pu estimer que l’inobservation des règles d’ordre public de notification entrainait l’inopposabilité de la cession (2), la sanction traditionnellement admise est la nullité de la cession en cas de violation de cette règle impérative de la procédure d’agrément, qu’elle soit d’origine légale ou statutaire.
La loi prévoit parfois expressément que la cession qui n’a pas été agréée est frappée de nullité.
A cet égard, l’article L.228-23 du Code de commerce qui vise les sociétés par actions dispose effectivement que «toute cession effectuée en violation d’une clause d’agrément figurant dans les statuts est nulle».
Dans d’autres hypothèses, et dans le silence de la loi ou en cas d’absence de clarté de la loi sur la question, la jurisprudence a pu se prononcer sur la sanction encourue pour une cession non agréée (défaut d’agrément), à savoir notamment pour une société civile, forme sociale proche de celle de la SNC, pour laquelle il a été jugé, au visa de l’article 1844-14 du Code civil, que le défaut du droit du cédant était sanctionné par la nullité relative (3).
Toutefois, la jurisprudence ne s’était jamais prononcée ouvertement sur le sort d’une cession non agréée par l’ensemble des associés d’une SNC. C’est désormais chose faite.
Défaut d’agrément d’une cession dans une SNC et inopposabilité
S’agissant des SNC, l’agrément des associés est obligatoire. L’article L.221-13 du Code de commerce est une disposition impérative à laquelle l’on ne peut déroger conventionnellement. Ce texte dispose que «les parts sociales (…) ne peuvent être cédées qu’avec le consentement de tous les associés. Toute clause contraire est réputée non écrite».
A la lecture de ce texte et à la lumière de la jurisprudence ayant statué sur le sort d’une cession non agréée par les associés d’une société civile, il eut été légitime de considérer la cession de parts de SNC comme nulle, partant du fait que l’agrément est déterminant du consentement à l’acte de cession.
La société civile comme la SNC sont deux formes sociales empreintes d’un fort intuitu personae dans lesquelles la qualité des associés est généralement déterminante. De ce postulat, elles sont souvent qualifiées de sociétés «fermées».
Par sa décision du 16 mai 2018, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient contrarier l’opinion dominante en doctrine tendant à placer l’agrément sur le terrain de la validité des conventions (nullité) plutôt que sur celui de leur efficacité (inopposabilité).
La nullité et l’inopposabilité sont deux institutions différentes. La première concerne la formation du contrat et implique l’anéantissement du contrat, tant entre les parties qu’à l’égard des tiers, tandis que la seconde protège exclusivement les tiers : l’acte litigieux restant valable entre les parties mais étant sans incidence sur la situation des tiers.
La jurisprudence antérieure était intervenue sur la question de manière incidente dans une affaire où une procédure de redressement judiciaire avait été ouverte à l’encontre d’associés d’une SNC à la suite de la liquidation judiciaire de cette dernière. L’un des associés, désireux d’échapper au prononcé d’une procédure collective à son encontre, entendait contester sa qualité d’associé en invoquant la nullité de l’acquisition de ses parts sociales pour défaut d’agrément unanime des associés (4).
La Cour de cassation avait alors jugé que seules les personnes protégées par l’exigence d’un agrément unanime devaient pouvoir invoquer la sanction de nullité de la cession, à savoir uniquement la société ou les associés et non le cessionnaire.
Conséquence de l’inopposabilité de la cession à la société et aux associés
L’inopposabilité étant la sanction arrêtée par la Cour de cassation, il convient désormais de s’interroger sur le sort des parties à l’acte inefficace pour défaut d’agrément.
Si le choix d’une telle sanction est sans réelle conséquence à l’égard des tiers au contrat, celle-ci a une incidence dans les rapports entre les parties (cessionnaire non agréé et cédant).
La cession étant valable entre les parties mais inefficace à l’égard des tiers, en ce compris la société et les associés, la cession non agréée de parts sociales de SNC pourrait s’assimiler à une quasi-convention de croupier ; le cessionnaire se trouvant dans la même situation qu’un croupier, ne serait pas associé ; le cédant demeurant associé.
La validité de la convention de croupier est depuis longtemps admise en jurisprudence et en doctrine. Elle résulte, en tant que société en participation, des articles 1871 à 1872-2 du Code civil (5).
Il s’agit de l’acte par lequel un associé, sans l’accord de ses coassociés, convient avec un tiers (le croupier) de partager les résultats de sa participation (bénéfices ou pertes) dans la société en contrepartie d’un service financier que lui rend le croupier. Le croupier qui ne devient pas associé par l’effet de cette convention, demeure un tiers à la société : il ne peut avoir aucun rapport direct avec la société et ne peut exercer aucune des prérogatives attachées à la qualité d’associé puisqu’il n’est pas considéré comme tel (notamment droit de vote, droit aux résultats : ces droits restant réservés au cédant).
Toutefois, si la convention de croupier n’est opposable ni à la société, ni aux autres associés, celle-ci demeure efficace entre les parties : le croupier pouvant agir contre l’associé cédant pour obtenir sa part dans les bénéfices et le cédant pouvant réclamer au croupier sa part des pertes. Mais, en cas de défaillance du croupier, le cédant reste responsable indéfiniment et solidairement du passif social.
Les seules différences avec la convention de croupier serait le caractère non-occulte et l’étendue d’une telle opération (la cession non agréée ayant vocation à attribuer plus de droits que les seuls droits financiers de l’associé).
L’action en nullité et la restitution du prix de cession étant fermée pour le cessionnaire non agréé d’une cession de parts sociales de SNC ne comportant aucune condition suspensive, la seule solution pour ce dernier serait de solliciter la résolution pour inexécution de la cession ou de faire perdurer la situation en demeurant non associé de la société et solliciter des dommages et intérêts contractuels à l’encontre du cédant au titre de la garantie légale d’éviction ou de la violation de ses engagements contractuels.
Pierre-Yves Fagot
Maxime Guinot
Lexing Droit de l’entreprise
(1) Cass. com 16 mai 2018, n°16-16498
(2) CA Paris 25 avril 1997, n°96-11363
(3) Cass. civ. 3ème, 6 octobre 2004, n°01-00896, publié au bulletin
(4) Cass. com 24 nov. 2009, n°08-17708, Inédit
(5) CA Paris 4 avril 1997, n° 95-177744 ; Cass. com. 15 décembre 1998, n° 97-15897