Selon la Cour de cassation, un inspecteur du travail peut bénéficier du statut de lanceur d’alerte créé par la loi Sapin 2.
*Dans son arrêt du 17 octobre 2018 (1), la Cour de cassation annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Chambéry, le 16 novembre 2016, pour permettre l’examen des faits au regard du nouvel article 122-9 du Code pénal, entré en vigueur en cours d’instance.
L’entrée en vigueur d’un nouveau fait justificatif en cours d’instance
La chambre criminelle de la Cour de cassation annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Chambéry parce que la situation de la prévenue n’a pas été examinée au regard de l’article 7 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (2).
En effet, l’article 7 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a créé un article 122-9 dans le chapitre relatif aux causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité du Code pénal.
L’article 122-9 du Code pénal (3) instaure donc une nouvelle cause d’irresponsabilité pénale et prévoit que :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».
En l’espèce, une inspectrice du travail a transféré à des organisations syndicales des documents à caractère secret qu’elle a obtenus frauduleusement et émanant des cadres dirigeants d’une société.
Aussi, la personne qui lui a envoyé les documents a été poursuivie des chefs d’atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique, accès et maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, et elle a, pour sa part, été poursuivie pour recel de l’atteinte au secret des correspondances et violation du secret des professionnel.
En outre, la prévenue ne pouvait se prévaloir du statut protecteur de lanceur d’alerte, prévu par le droit du travail, dès lors que le champ d’application de l’article L.1132-3-3 du Code du travail est strictement limité aux relations de travail entre employeurs et salariés de droit privé. En effet, l’article L.1132-3-3 du Code du travail protège le lanceur d’alerte qui a « relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».
L’application du principe de rétroactivité in mitus de la loi pénale
La chambre criminelle de la Cour de cassation fait application du principe de rétroactivité en précisant que :
« Attendu que les dispositions d’une loi nouvelle s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ».
En effet, aux termes de l’article 112-1 du Code pénal, une disposition pénale plus douce s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non encore jugés (4).
Ainsi, la Cour d’appel de renvoi devra procéder à un nouvel examen au fond de l’affaire, au regard des dispositions de l’article 122-9 du Code pénal, plus favorables à la prévenue.
L’enjeu sera alors double : l’inspectrice devra, d’une part, démontrer qu’elle a agi comme lanceur d’alerte, selon les critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
L’inspectrice devra, d’autre part, démontrer devant la Cour d’appel de renvoi de Lyon qu’elle a respecté les conditions relatives au signalement d’une alerte, posées par l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Autrement dit, elle devra démontrer que, sauf cas d’urgence, elle a d’abord porté le signalement de l’alerte à son supérieur hiérarchique ou, qu’en cas d’absence de diligence de sa part, elle s’est adressée à l’autorité judiciaire compétente, étant précisé qu’en dernier ressort, à défaut de traitement, le signalement pouvait être rendu public.
Virginie Bensoussan-Brulé
Géraldine Camin
Lexing Contentieux numérique
(1) Cass. crim., 17-10-2018, n°17-804485
(2) Loi n°2016-1691 du 9-12-2016
(3) C. pén., art. 122-9
(4) C. pén., art. 112-1 ; Pour un exemple : Cass. crim., 25-5-1994, n°93-83820